Berthe Morisot au musée Marmottan

On connait le musée Marmottan, ce très bel hôtel particulier, ancien pavillon de chasse du duc de Valmy, avec ses expositions en sous sol dans un vaste et agréable espace de grandes salles.

Une magnifique exposition sur Berthe Morisot y est présentée, avec 150 peintures, dessins, et même une sculpture ( !) venant des musées et de collections particulières du monde entier, à commencer par des tableaux de ses débuts, alors qu’elle réalisait des copies au Louvre, jusqu’à ses dernières œuvres.

Une dessinatrice hors pair

Berthe Morisot était un peintre doté d’une énergie peu commune.

On voit sur ses toiles les traces laissées par des coups de pinceaux ou de crayons, violents comme des coups d’épée et extraordinairement précis.

Car le dessin est là, toujours présent sous le tableau, Berthe Morisot est une dessinatrice hors pair. On le voit d’ailleurs dans certains détails, apparemment anodins, comme la chaise bleue et la table, dans le tableau ci-dessus qui sert de logo à l’article (« les roses trémières ») et qui, non seulement est parfait sur le plan des lignes et de la perspective, mais se justifie aussi sur le plan pictural, venant ajouter un contraste fort entre ce que fait la main de l’homme et celle, plus délicate, de la nature (notamment les fleurs à l’arrière plan). Il y a d’ailleurs une forte verticalité dans ce tableau, à tous les sens du terme.

Aux limites de la perfection

On peut dire que Berthe Morisot a mené la technique impressionniste aux limites de la perfection, à l’instar de ses homologues masculins, les Renoir, Monet, Manet, Degas, ses amis.

Elle peint avec sa technique, ses pinceaux et ses couleurs, mais aussi avec son coeur et son sens de la beauté. Avec Morisot, l’émotion est toujours présente.

Le tableau impressionniste doit être à la limite du figuratif, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre de la frontière au-delà de laquelle ça deviendrait de l’abstrait.

Par exemple, dans le détail du tableau ci-dessous, on ne voit qu’une joue ronde, avec deux traits noirs pour les cils. Il n’y a rien et pourtant on voit nettement que Julie regarde le cygne qui la regarde.

Sur le lac du bois de Boulogne, détail – Berthe Morisot, 1884 – Huile sur toile 55 x 43 cm – Collection particulière © Christian Baraja, studio SLB

Quant à la femme, assise dans la barque face à Julie (sans doute Pasie, la nurse) son visage, réduit à sa plus simple expression, n’est qu’un ovale bleuté, la toile sous le dessin de la barque étant, quant à elle, laissée brute et l’on en voit très bien le dessin des membrures, à coups de petit pinceau fin !

Sur le lac du bois de Boulogne, 1884 Berthe Morisot – Huile sur toile 55 x 43 cm – Collection particulière © Christian Baraja, studio SLB

Comme disait Corot (dont elle a d’ailleurs été l’élève et dont elle a fait une très bonne copie de la  » Vue de Tivoli « , présente à cette exposition) :  » Il y a des tableaux où il n’y a rien et pourtant tout y est « .

Et c’est le cas pour Berthe Morisot !

Morisot – Monet : même combat !

Monet est devenu botaniste pour créer un jardin merveilleux qu’il a peint ensuite.

Berthe Morisot est devenue une mère de famille heureuse pour peindre ensuite cette heureuse famille.

On fait ce qu’on aime et on peint ensuite ce qu’on aime !

Car la plus grande partie de l’oeuvre de Berthe Morisot est centrée sur sa famille, avec d’abord et avant tout sa fille, Julie aux diverses étapes de son enfance, et qui a donc été élevée dans un univers enchanteur, très féminin.

Malheureusement pour Julie, le conte de fées est devenu très vite un cauchemar, ayant perdu son père et sa mère à quelques années d’intervalle, alors qu’elle était encore très jeune…

Les verts de Berthe Morisot

Les verts de Berthe Morisot sont très particuliers et reconnaissables entre tous car, étant donné la dextérité et la rapidité avec laquelle elle peignait, le geste entraînait nécessairement les couleurs alentour généralement claires (souvent d’ailleurs du blanc), ce que l’on voit d’ailleurs très bien dans le tableau ci-dessous intitulé « L’ombrelle verte » et qui représente sa soeur Edma assise dans l’herbe, en robe blanche, en train de lire.

Malheureusement pas achevé…

Berthe Morisot a compris que l’impressionnisme n’est pas seulement « l’art de capter la lumière » comme on l’entend souvent dire, mais aussi et surtout l’art de s’arrêter à temps , ce qui prend tout son sens si la vitesse d’exécution entre en ligne de compte (la peinture sur le motif obligeait les peintres (mais pas tous et pas toujours), à faire très vite, en raison des changements de lumière).

A ce propos, pour finir et pour rire un peu, j’ai lu dans un magazine consacré à cette exposition, un commentaire sur un des tableaux de Berthe Morisot (« Pasie cousant dans le jardin ») disant que ce tableau n’était « malheureusement pas achevé… « ( !), ce qui ne veut évidemment strictement rien dire en ce qui concerne cette artiste ! Mais sans doute est-ce de l’humour…

L’exposition, qui devait s’achever le 1er juillet 2012, a été prolongée, en raison de son succès, jusqu’au 29 juillet.

Courez-y !


 

 

Repères biographiques (Source Musée Marmottan)

1841 – Naissance à Bourges. Elle est la troisième fille de Marie-Joséphine Cornélie Thomas(1819-1876) et d’Edme Tiburce Morisot (1806-1874), préfet du Cher.
-  Deux soeurs aînées : Yves (1838-1893) et Edma (1839-1921) ; un frère cadet : Tiburce (1848-v.1930).

1841-1848 – Les Morisot s’installent à Limoges.

1852 – Après un détour par Caen, la famille s’installe définitivement à Paris, dans le quartier de Passy, où Berthe passera une grande partie de sa vie.

-  Leçons de musique chez Stamaty fils.

1857 – Madame Morisot fait prendre des cours de dessin à ses filles. Premiers cours avec Chocarne, rue de Lille ; puis chez le peintre Joseph Guichard, élève d’Ingres. Ce dernier reconnaît rapidement le talent d’Edma et de Berthe et leur prédit une carrière professionnelle.

1858-1860 – Edma et Berthe, qui deviennent copistes au Louvre, y rencontrent Félix Bracquemond et Henri Fantin-Latour.

1860-1862 – Sur les conseils de Guichard, les deux soeurs rejoignent l’atelier de Camille Corot qui les initie à la peinture de plein air.

-  La famille passe l’été 1861 à la Ville-d’Avray, près de chez Corot, où Berthe et Edma travaillent sur le motif.

1864 – La famille s’installe au 16 rue Franklin ; plusieurs des oeuvres de Berthe Morisot en représentent le salon et la terrasse. Le mardi, Madame Morisot reçoit dans ses dîners notamment Jules Ferry, Carolus-Duran ou encore Rossini.

-  Berthe et Edma sont reçues pour la première fois au Salon.

-  Nombreuses rencontres importantes : le peintre Léon Riesener, élève et cousin de Delacroix, la duchesse Colonna – qui sculptait sous le pseudonyme de Marcello – et le sculpteur Aimé Millet.

1865 – M. Morisot fait construire un atelier pour ses filles dans le jardin du 16 rue Franklin, qui sera détruit pendant le siège de Paris en 1871. Berthe, qui n’aura plus d’atelier jusqu’en 1891, peint désormais dans sa chambre ou dans son salon.

-  Nouvelle participation au Salon pour les deux soeurs. 1866 et 1867 – Troisième et quatrième participation au Salon.

-  En 1867, Berthe et Edma exposent chez le marchand de tableaux Cadart.

1868 – Lors d’une séance de copie au Louvre, Fantin-Latour présente Edma et Berthe à Édouard Manet. Berthe devient vite l’un de ses modèles favoris – il lui consacrera dix portraits entre 1868 et 1874. Les familles se lient et se reçoivent les mardis chez Madame Morisot et les jeudis chez Mme Manet. Berthe y fait la connaissance d’Edgar Degas, Emile Zola, Puvis de Chavannes… Nouvelle participation au Salon.

-  Mariage d’Edma avec l’officier de marine Adolphe Pontillon et part s’installer à Lorient. La séparation des deux soeurs est très douloureuse. Edma renonce à peindre tandis que Berthe fait de sa soeur, entre 1868 et 1871, son modèle privilégié.

1870-1871 – Durant la guerre et la Commune, la santé de Berthe qui subit de nombreuses privations, est durablement altérée.

1872 – Berthe présente au Salon un grand pastel d’Edma, dit « Portrait de Mme Pontillon ». Le 10 juillet, Durand-Ruel lui achète une peinture et trois aquarelles.

1873 – Dernière participation au Salon.

-  La famille déménage et s’installe au 7 rue Guichard à Passy. Berthe fait le portrait de ses voisines, puis d’Edma et de ses enfants, qu’elle rejoint durant les vacances (ex. « L’Ombrelle »).

1874 – Du 15 avril au 15 mai, Berthe Morisot participe à la première exposition impressionniste, chez Nadar, avec neuf toiles, dont sept représentant Edma. Elle est la seule femme.

-  Le 22 décembre, elle épouse Eugène Manet, frère d’Édouard, rencontré durant l’été.

1875 – Le 24 mars, Berthe Morisot, Auguste Renoir, Claude Monet et Alfred Sisley organisent une vente publique de leur oeuvre à l’Hôtel Drouot. Si Berthe obtient, pour « Intérieur », la meilleure adjudication (480 francs), la vente, qui est un échec, ne sera pas réitérée.

-  Voyage de noces sur l’île de Wight puis à Londres ; elle y peindra de nombreuses toiles et aquarelles.

1876 – Expose dix-neuf oeuvres à la deuxième exposition impressionniste présentée chez Durand-Ruel.

1877 – Expose douze oeuvres à la troisième exposition impressionniste, rue Le Peletier.

1878 – Naissance de Julie Manet (1878-1966) le 14 novembre. Elle deviendra son modèle favori.

1879 – Seule fois où Berthe ne participe pas à la quatrième exposition impressionniste, la naissance de Julie étant trop proche.

1880 – Expose quinze oeuvres à la cinquième exposition impressionniste, rue des Pyramides.

1881 – Expose sept oeuvres à la sixième exposition impressionniste, boulevard des Capucines. La critique voit en elle l’une des plus remarquables interprètes de l’impressionnisme ; elle est comparée, pour sa palette, à Fragonard et Watteau.

-  Avec Eugène Manet, Berthe acquiert un terrain rue de Villejust à Paris (l’actuelle rue Paul Valéry). Ils y font construire un immeuble destiné à être partiellement loué et partiellement occupé par la famille.

1882 – En mars, Berthe Morisot et Eugène Manet financent l’organisation de la septième exposition impressionniste, rue Saint Honoré. Elle y exposera douze oeuvres.

1883

-  À Londres, elle présente trois tableaux lors de l’exposition impressionniste organisée par Durand-Ruel.

-  Le 30 avril, Édouard Manet meurt.

-  Les travaux rue de Villejust enfin terminés, Eugène Manet et Berthe s’y installent, avec Mme Auguste Manet, gravement malade.

1884 – Le 4 janvier, aux Beaux-Arts, s’ouvre l’exposition posthume consacrée à Manet, préparée pour une large partie par Eugène Manet et Berthe Morisot.

-  Par le biais de Stéphane Mallarmé, Monet et Berthe Morisot se rapprochent.

1885 – Berthe Morisot prend l’habitude de recevoir tous les jeudis soirs rue de Villejust : Mallarmé, Degas, Renoir, Monet comptent parmi les habitués et forment peu à peu une véritable famille de coeur.

1886 – Présente neuf oeuvres à New York, dans une exposition impressionniste organisée par Durand-Ruel.

-  Du 15 mai au 15 juin, dernière exposition impressionniste à Paris, rue Laffitte ; elle y expose onze oeuvres et finance l’exposition, avec Degas, Henri Rouart et Mary Cassatt.

1887 – Participe à l’exposition des XX à Bruxelles, avec, entre autres, Paul Signac et Georges Seurat.

-  Expose sept toiles à l’Exposition Internationale chez Georges Petit.

-  À la demande de Mallarmé, s’initie à la gravure pour l’illustration d’un recueil de poèmes, « Le Tiroir de laque ».

-  Renoir fait le portrait de Julie, dit « L’Enfant au chat ».

1888-1891 – Durant ces années, Berthe Morisot expose énormément, à Paris et New York.

1892 – Eugène Manet meurt le 13 avril.

-  Du 25 mai au 18 juin, la galerie Boussod et Valadon organise la première exposition personnelle d’oeuvres de Berthe Morisot. Elle y présente quarante peintures et des oeuvres graphiques ; Gustave Geoffroy préface le catalogue.

1893 – Julie Manet commence la rédaction de son Journal à l’occasion d’un séjour chez Mallarmé.

-  Le 30 octobre, à Giverny, Monet lui présente vingt-six Cathédrales.

1894 – Grâce à Mallarmé, l’État acquiert « Jeune Femme en tenue de bal » de Berthe Morisot. Le tableau entre au musée du Luxembourg.

-  Renoir peint le portrait de Berthe Morisot et sa fille Julie Manet.

1895 – En soignant Julie, Berthe Morisot contracte une congestion pulmonaire et décède subitement le 2 mars. Le 5 mars, elle est inhumée dans le caveau des Manet au cimetière de Passy.

1896 – Du 5 au 21 mars, exposition posthume chez Durand-Ruel à Paris, organisée par ses amis Degas, Monet, Renoir et Mallarmé, assistés de Julie. Présentant 380 oeuvres de Berthe Morisot, cette exposition reste la plus grande manifestation jamais consacrée à l’artiste

le 3 juin 2012
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