Le rameau, la palme et la couronne : les végétaux glorieux…

Le végétal et l’apothéose.

L’apothéose est le fait de déifier une personne (dans l’histoire romaine, déification des empereurs) afin d’en faire l’objet d’un culte. L’apothéose est donc une cérémonie permettant la modification, l’évolution de la mythologie. Comme l’apothéose est une cérémonie, il faut bien qu’il y ait des objets cérémoniels : c’est ainsi que la couronne végétale, le rameau ou la palme vont faire parti de ces objets confirmant l’apothéose. L’histoire de l’art est souvent un moyen de (re)créer une apothéose, et de faire entrer par cette occasion des souverains dans le panthéon des dieux. On peut citer l’apothéose de Napoléon Ier par Ingres ou encore l’apothéose de Napoléon III de Cabasson, dans l’optique de la construction d’une mythologie française.

Jean Auguste Dominique Ingres. Apothéose de Napoléon Ier. 1853. Huile sur toile. 48 x 48 cm. Paris, musée Carnavalet.

Jean Auguste Dominique Ingres. Apothéose de
Napoléon Ier. 1853. Huile sur toile. 48 x 48 cm.
Paris, musée Carnavalet.

Dans l’apothéose de Napoléon Ier, l’empereur, digne, sur un char solaire semblant emprunté à Apollon, se trouve couronné d’or par une Renommée (visible avec sa trompette). Dans une nudité toute héroïque avec seulement la cape rouge des Césars, Napoléon tient en main un sceptre et une orbe de pouvoir. Il s’apprête donc à recevoir cette couronne surnuméraire (et sur-dimensionnée) puisqu’il est déjà lauré.



DETAIL INGRES

Conduit au temple de la Gloire et de l’Immortalité, le char volant se trouve dirigé par une Victoire tenant une palme dans sa main droite et une couronne dans sa main gauche. Cette Victoire se trouve elle-même couronnée d’or, comme en écho avec Napoléon. La scène est surplombée par l’aigle de Jupiter, tandis que Némésis en bas terrasse l’anarchie et que la France personnifiée en femme déplore le départ de son Empereur.



Ingres détail

Cette oeuvre était à la base une commande et Ingres âgé de 73 ans devait s’engager à finir le tableau dans l’année 1853. Malheureusement l’oeuvre originale destinée à orner le plafond du salon de l’Empereur à l’Hôtel de Ville de Paris, a été détruite lors de l’incendie du bâtiment en 1871. Il n’en reste que des reproductions aujourd’hui. Cette oeuvre témoignant de la divinisation de Napoléon (au même titre que la sculpture de Canova représentant Napoléon en Mars, ou bien le portrait de Napoléon sur son trône comparé à un Jupiter trônant). Le pendant de cette apothéose, est celle d’Homère peinte en 1827 où l’on peut voir une Victoire couronner le poète antique. Cette oeuvre a été reprise par Eugène-André Oudiné sous le titre In nepote redivivus (il revit dans son neveu), relief en plâtre de 1854, ou bien par le camée gravée par Adolphe David, conservé au musée d’Orsay.
Dans une autre apothéose de Napoléon Ier, très similaire, de la main de Jean Simon Berthélémy, Napoléon toujours sur son char triomphal ne porte plus un sceptre mais un rameau, brandi vigoureusement, comme une promesse au Monde. Il n’est plus couronné d’or mais de feuilles verdoyantes. Ce n’est plus une Renommée qui est à ses côtés mais une Victoire ailée, auréolée de végétal elle aussi.


Jean Simon BERTHELEMY. Apothéose de Napoléon Ier. Esquisse. 1er quart 19e siècle. Paris ; musée du Louvre département des Peintures

Jean Simon BERTHELEMY. Apothéose de Napoléon Ier.
Esquisse. 1er quart 19e siècle. Paris ; musée du Louvre – département des Peintures



Cette esquisse était destinée à servir de modèle pour un plafond de la salle du Sénat au Palais du Luxembourg à Paris, peint en 1807 et détruit vers 1852-1854. Jean Simon Berthélémy s’est d’ailleurs expliqué sur le choix du sujet :

« Napoléon Ier est monté sur un Char Brillant attelé de 4 chevaux blancs conduits par la Victoire, qui s’élève dans la région Céleste. Le héros couronné tient dans sa main l’olivier, symbole de la paix qu’il veut donner au monde. La Victoire qui plane sur sa tête, tient les guides des chevaux, et la couronne de palmes et de lauriers. Sur le premier plan ; on voit la terre sous la figure de Cibelle admirant le vainqueur de l’Europe en tendant le bras pour recevoir l’olivier offert par le héros.
Cette Déesse est appuyée sur le globe terrestre et entourée des richesses qui sont l’emblème qui la caractérisent. Le char est précédé de Renommées distribuant des couronnes et proclamant au son de leurs trompettes, les exploits du plus illustre des guerriers et les vertus du plus sage des monarques » (Hélène Guicharnaud. Quand le Louvre raconte Paris. Association Paris-Musées, 2005. Page 107)



Il faut donc noter dans cette apothéose à la gloire de Napoléon, toute cette profusion du végétal, ces couronnes à foison, participant à construire le mythe de l’Empereur corse. Plus tard en 1854, c’est le neveu de Bonaparte, Napoléon III qui aura le droit à son apothéose, peinte par Guillaume Alphonse Cabasson.
Au centre de la composition, on peut voir Napoléon III, de stature altière, tenant la main de la France, personnifiée par une jeune femme. Alors qu’une Renommée précède le char, une Victoire tenant un rameau d’olivier s’apprête à déposer une couronne de laurier sur la tête de l’Empereur.
Dans cette apothéose, le rameau d’olivier rappelle le slogan de Napoléon III pendant la campagne : « L’Empire c’est la paix ». On peut voir au loin Napoléon Bonaparte, observant son descendant avec fierté tout en levant son bicorne en signe d’hommage à son neveu.

Jean Simon BERTHELEMY. Apothéose de Napoléon Ier. Esquisse. 1er quart 19e siècle. Paris ; musée du Louvre département des Peintures

Guillaume Alphonse Cabasson. L’Apothéose de Naopléon III ou Napoléon III debout sur son char. 1854. Huile sur toile. 65 x 81 cm. Musée national du Château de Compiègne.

Même si Napoléon III est représenté plus petit que la France, il n’en demeure pas moins digne, posant la main sur son sabre, symbole de pouvoir. Droit et sérieux, il attend la couronne qui sacrera son autorité.


Détail Napoléon III Cabasson
Cette apothéose de Napoléon III date du milieu du XIXe siècle, date où les portraits de cour et les allégories sont considérés comme un genre dépassé. On leur préfère les peintures réalistes.  C’est l’une des dernières tentatives du genre. On y retrouve la filiation mythologique comme sur les deux apothéoses de Napoléon Ier. Le char à trois chevaux de Napoléon III est ici conduit par Minerve et son hoplon orné d’une Méduse ainsi qu’Hercule en peau de lion de Némée. Deux putti en haut à droite de la composition portent l’urne du suffrage universel ainsi qu’un parchemin portant le résultat : Napoléon III Empereur. On retrouve en bas, allongés sur des nuages, Cérès avec sa corne d’abondance et Mercure au Caducée, symbolisant la largesse et l’éloquence de l’Empereur. Ce tableau représente une image idéalisée de l’Empire, tout comme une propagande de l’Empereur comme le souligne fort justement Karine Huguenaud, spécialiste de l’imagerie napoléonienne :

« Vaste programme iconologique à la gloire du régime et destiné à le placer dans la continuité dynastique du Premier Empire, l’oeuvre s’inspire directement de l’Apothéose de Napoléon Ier peint par Ingres en 1853 pour le plafond de l’Hôtel de Paris. Tandis que l’aigle impérial domine la scène, la silhouette de Napoléon se profilant à travers les nuages, lève son chapeau pour saluer son successeur, Napoléon III. » (Karine Huguenaud. « Les représentations de Napoléon III, du portrait officiel à la caricature ». Dans Napoléon III,
l’homme, le politique (dir. Pierre Milza). Napoléon III Éditions, 2008. Page 243)




Lorsque les Dieux se mêlent aux hommes…

On a vu avec l’estampe du mariage de Catherine de Bourbon où Hyménée fait office de célébrante ou bien les scènes d’apothéose où les Dieux de l’Olympe viennent appuyer l’autorité de l’Empereur, que l’appel à la mythologie antique aide à construire une nouvelle mythologie française.
En se faisant peindre sous un aigle ou au-dessus de Némésis, Napoléon accède lui-même au rang de divinité. Napoléon III dont le char est conduit par Héraclès et Minerve, s’en va vers les portes du Panthéon gréco-romain. La confusion du réel et du mythologique dans la peinture aide à façonner une image idéalisée du modèle. Les Dieux antiques sont même souvent des intercesseurs, des médiateurs du pouvoir. C’est le cas notamment avec le Traité d’Angoulême de Rubens. Sur cette toile, on peut voir Mercure, le dieu psychopompe et messager, tendre un rameau d’olivier à Marie de Médicis. La souveraine l’accepte volontiers, sous le regard de la Vigilance, personnifiée par une jeune femme, vêtue sobrement, et laissant son sein gauche dévoilé. Un serpent présent près du visage de Marie de Médicis, est l’un des attributs animaliers de la Vigilance dans les allégories.

Vigilance dans

Cette toile qui a également pour titre Réconciliation de Marie de Médicis avec son fils, à Angers, représente de façon allégorique la signature du Traité d’Angoulême le 30 avril 1619. On a souvent voulu voir le visage de Louis XIII dans ce Mercure en nudité héroïque portant son célèbre pétase ailée et son caducée. En effet c’est en février 1619, que Marie de Médicis, quitte Blois pour se réfugier à Angoulême auprès du Duc d’Epernon, suite à ses conflits avec son fils. Ce n’est que plus tard que le cardinal de la Rochefoucauld avec Bérulle seront envoyés pour traiter avec Richelieu et le père Joseph qui soutiennent la reine-mère. Le traité sera signé le 30 avril suite à ces négociations. Alors que sur la toile, l’homme à la pourpre cardinalice au centre représente la Rochefoucauld, attentif et acteur de cette paix, invitant la reine à se saisir du rameau que lui tend le dieu de l’éloquence, l’identité du religieux sur la gauche a suscité des débats. On a d’abord voulu y voir Richelieu, même s’il ne lui ressemble pas véritablement. Cette hypothèse a souvent été écartée car Richelieu n’aurait reçu le titre de Cardinal qu’après le traité comme le souligne Alexis Merle du Bourg :


« Certes la ressemblance du cardinal de gauche du Traité d’Angoulême avec Richelieu n’est pas frappante […] Toujours est-il que l’aspect du personnage, sa physionomie, ne s’opposent nullement à ce qu’on l’identifie comme étant Richelieu. Le fait que ce dernier n’ait reçu le chapeau de Cardinal que postérieurement aux faits représentés est certes une objection de poids, d’autant qu’au cours de l’élaboration de la galerie, les parties parurent  soucieuses de respecter la vérité historique, notamment sur les questions vestimentaires. On relèvera cependant que La Valette, autre « candidat » possible, n’était pas davantage cardinal au moment des faits mais simplement archevêque de Toulouse »(Alexis Merle du Bourg. Peter Paul Rubens et la France. Presses universitaires du Septentrion. Paris. 2004. Page 39)


Le musée du Louvre, où est conservée la toile, a aussi proposé l’identité de Guise dans ce personnage « plutôt réservé et attentiste ». Quoiqu’il en soit, on remarquera que le rameau n’est pas tenu à la verticale comme sur la plupart des toiles que nous avons vu, mais il est tendu vers la reine à l’horizontale, ce qui forcera la souveraine à le prendre par le feuillage et non la tige. Cet élément de représentation qui paraît anodin, ne l’est pas à mon sens, puisqu’il participe d’une « dynamique » du geste et donc de la peinture. On notera aussi l’architecture dans le fond, très à l’antique avec une colonne de style ionique, un pilastre sur l’entrée en arche. Le trône sur lequel est assis Marie de Médicis est sophistiqué avec un accoudoir anthropomorphe et un putto surplombant. Le chien aboyant, symbole de fidélité, augmente aussi par sa présence le rôle de l’allégorie de la Vigilance. Dans cet ensemble de cinq personnages on notera à mon sens, deux personnages ancrés dans le XVIIe siècle (les deux cardinaux), un personnage mythologique (Mercure), une allégorie (la Vigilance) et un personnage hybride (Marie de Médicis qui est à la fois à mon sens, l’allégorie de la ville d’Angoulême, la souveraine, et un personnage intemporel, quasi déifié grâce au rameau qui lui est tendu). Ce rameau d’olivier se retrouvera d’ailleurs dans une autre toile du cycle peint par Rubens commandé par la reine elle-même : La parfaite réconciliation de Marie de Médicis avec son fils après la mort du duc de Luynes. Dans cette toile, Marie de Médicis et Louis XIII à gauche de l’hydre (représentant le duc de Luynes) foudroyé par le Courage, tiennent ensemble le caducée, signe de paix ainsi qu’un morceau d’olivier, en écho au Traité d’Angoulême.

Détail. La Parfaite Réconciliation de la reine et de son fils, après la mort du connétable de Luynes, le 15 décembre 1621. Peint par Rubens. 3,94 x 2,95 m. Musée du Louvre.

Détail. La Parfaite Réconciliation de la reine et de son fils, après la mort du connétable de Luynes, le 15 décembre 1621. Peint par Rubens. 3,94 x 2,95 m. Musée du Louvre.

 

Dans la construction d’une mythologie, ce ne sont pas seulement les dieux gréco-romains qui sont peints aux côtés des souverains, mais aussi des figures allégoriques ou des Saints. Dans un tableau de Jean-Baptiste Mauzaisse intitulé Napoléon Bonaparte créateur des lois, c’est la figure du Temps qui couronne le code Napoléon.


Jean-Baptiste Mauzaisse. Napoléon créateur des lois. 1833. Huile sur toile. 131 x 160 cm. Musée national du Château de Malmaison (Rueil-Malmaison)

Jean-Baptiste Mauzaisse. Napoléon créateur des lois.
1833. Huile sur toile. 131 x 160 cm. Musée national du
Château de Malmaison (Rueil-Malmaison)

Dans ce tableau allégorique qui s’inscrit dans un contexte de politique bonapartiste impulsée par Louis-Philippe avec le relèvement de la statue de Napoléon sur la colonne Vendôme, Napoléon accède au statut d’icône comme le montre fort bien Jérémie Benoît dans son analyse de l’oeuvre :



« Mauzaisse montre que l’Empereur n’est pas mort, mais qu’il survit dans le monde intemporel de l’Histoire et du Temps, assimilé au ciel. Toutefois, ce n’est plus à un dieu que nous avons affaire, mais bien à un simple mortel, peint de manière réaliste, placé dans l’au-delà par le biais de l’imagination et le souvenir qui le font survivre . Or cet au-delà n’est ni sacré, ni divin, il est celui de l’Histoire » (Jérémie Benoît, « La légende dorée de Napoléon », analyse en ligne sur histoire-image.org)



Napoléon, assis sur un trône nuage, le pied sur un aigle expirant (dont on ne comprend pas bien d’ailleurs le sens allégorique), est en pleine rédaction du Code civil. Vêtu de son frac militaire, en bas de soie et en souliers à boucles, il endosse ici le rôle de législateur. Je ne partage pas tout à fait l’avis de Jérémie Benoît, même si ce Napoléon écrivant l’histoire du droit français, ne se situe ni dans l’espace ni dans le temps sur cette oeuvre, il est au rang de divinité tel Dieu révélant les Tables de la Loi à Moïse. Ce tableau participant au culte de Napoléon, est une oeuvre érudite dont tous les symboles sont étudiés. La figure du Temps, est un vieillard ailé, une icône chrétienne avec une faulx. Il s’apprête à couronner Napoléon de lauriers pour féliciter son entreprise. Napoléon fixant le spectateur n’a pas son bicorne sur la tête, il est posé à côté de lui, et attend la récompense végétale. Sur le nuage, comme un écho à la couronne, on peut voir un amas de végétaux verdoyants, dont une palme, symbole de Victoire. Cet amoncellement plutôt incongru sur un nuage, sert à la portée allégorique de cette peinture. Quoiqu’il en soit toute l’habileté de coloriste de Mauzaisse se ressent dans cette peinture harmonieuse, qui se veut un hommage à Napoléon.

Pour marque-pages : Permaliens.

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