L’homme et le végétal

Je ne vais pas reprendre ce qu’à apporté Rousseau pour la botanique dans le présent article, mais me contenter sur la représentation du philosophe avec le végétal. En me penchant sur l’iconographie, je me suis rendu compte qu’il y avait deux dynamiques : une série iconographique montrant un Rousseau, marchant avec des fleurs et un bâton. On a donc l’image du marcheur en interaction avec le paysage, qui regarde et cueille lors de ses promenades.

Rousseau détail

Détail estampe : Jean-Jacques Rousseau
d’après Marc-Charles-Gabriel Gleyre. 19e
siècle.

 

Rousseau herborisant

Rousseau herborisant, et vue de son pavillon et du pont
d’Ermenonville. Eau-forte de G.-F. Meyer gravée par J.-B. Huet le vieux.© BGE – Centre d’iconographie genevoise.

ROUSSEAU Quatrain accompagnant l'eau-forte

ROUSSEAU Quatrain accompagnant l’eau-forte

 

Puis on a la représentation d’un Rousseau en interaction avec les gens. Ce n’est plus la figure du « promeneur solitaire » mais celle du pédagogue herborisant avec un enfant, d’un professeur enseignant les secrets de la botanique à un jeune public, d’un penseur montrant à quelques dames les trouvailles végétales qu’il a fait dans la nature environnante. On a donc d’un côté un botaniste dans l’intimité, et de l’autre un botaniste dans une relation d’échange avec son entourage, partageant le fruit de ses recherches, son savoir sur les plantes.

 Nous avons également l’exemple de deux peintures où Rousseau montre une fleur (ou des fleurs) à un public féminin. La première intitulée The Moralist est conservée au musée national d’éducation de Rouen, et présente le philosophe des lumières tenant une rose et la présentant à deux jeunes femmes.

The Moralist

The Moralist. William Nutter (1754-1802) dessinateur et graveur au burin et au pointillé.
John Raphael Smith (1752-1812) peintre. Vers 1780. 32, 6 x 40, 6. Source : Musée national d’éducation – CNDP

Rousseau et jeune femme allaitant

Rousseau ou l’homme de la nature gravé par Augustin Claude Simon. Vers 1795. Musée de Môtiers

Le second exemple est une toile du musée de Môtiers offrant un bouquet de fleurs sauvages à une mère allaitant. Cette deuxième peinture participe de ce que j’appellerais le « don de la fleur » sur lequel je reviendrai.

Les portraits d’hommes tenant une fleur peuvent être très divers, et concernent des hommes de n’importe quel milieu, autant des poètes que des aristocrates ou bien des ecclésiastiques. Giovanni Bellini nous a par exemple laissé un portrait du religieux Fra Teodoro da Urbino. Comme nous l’indique son livre de foi, il est représenté nimbé en Saint-Dominique, fondateur de l’ordre des dominicains. Il tient en main un lis blanc, fleur très prisée des peintures religieuses. On a conservé par exemples plusieurs portraits de Sainte Catherine de Sienne tenant un lis. Nombreux également sont les tableaux de l’Annonciation où l’archange tient un lis. Le portrait de Théodore s’inscrit donc dans cette tradition picturale.

Giovanni Bellini Portrait de Teodoro

Giovanni Bellini. Portrait de Teodoro da Urbino. 1515. Huile sur toile. 63 x
50 cm. National Gallery, Londres,  UK.

Giovanni Bellini Portrait de Teodoro

Détail Giovanni Bellini Portrait de Teodoro

Au sein du musée de Cardiff, on peut également voir un portrait « à l’école anglaise » d’un homme à la fleur. Cet homme est en fait Godfrey Goodman de Ruthin (1583-1656), fils de Gawen Goodman (identifiable grâce au blason sur la partie supérieure gauche présentant un aigle bicéphale). Godfrey a été élève au Trinity College puis prêtre au diocèse de Brecon en 1587. Il est représenté à l’âge de 40 ans comme nous l’indique la date de la toile. Il porte en main une rose des chiens (rosa canina) qui symbolise la famille. On voit très bien l’influence de l’art de la Renaissance, le modèle étant représenté sur fond uni, habillé de la collerette caractéristique.

Godfrey Goodman de Ruthin

École Anglaise. Portrait de Godfrey Goodman de Ruthin.
52.8 x 41.0 cm. XVIe siècle(environ 1600). Cardiff National Museum.

Fleur et médecine.

La fleur est un attribut du poète mais n’est-elle que ça ? La réponse est bien entendu négative. Elle peut-être aussi l’attribut du médecin. Pour s’en convaincre, il faut regarder les représentation de Nicolas Copernic (1473-1543) qui, on l’oublie trop aujourd’hui, était médecin avant d’être versé dans l’astronomie.

La plus vieille représentation de Copernic serait une peinture de Tobias Stimmer datant de 1574- 1579. Celle-ci présente le scientifique tenant un brin de muguet dans sa main gauche. On retrouve dans cette peinture toute la tradition iconographique de la Renaissance concernant son habit (il porte le haut sans manche rouge appelé « giornea » caractéristique du XVIe siècle) mais aussi concernant la tenue de l’objet végétal. En effet le brin est tenu délicatement entre deux doigts (le pouce et l’index comme la norme le voulait). On retrouve de nombreux autres tableaux où une plante ou un objet (une bague par exemple) est tenu de cette manière, élégante et noble. Au XVIe siècle, en peinture, rarement l’on va trouver un personnage tenant son attribut à pleine main.

Tobias Stimmer. Nicolas Copernic

Tobias Stimmer. Nicolas Copernic. 1574-1579. Dom Mikolaia Kopernika (Maison de
Nicolas Copernic). Toruń.

Le tableau de Copernic qui est plus grand que cela (il est en format de colonne) et se trouve exposé dans la maison de Copernic de la ville de Torun’ où il est né. La peinture présente une inscription latine « Nicolai Copernici vera effigies ex ipsius autographo depicta » voulant dire « Un portrait réel de Nicolas Copernic peint d’après son autoportrait ».

Cliché personnel. Vitrine de la maison Copernic

Cliché personnel. Vitrine de la maison Copernic
présentant des plantes et herbes dont Nicolas
Copernic aurait été susceptible de se servir pour
ses patients.

Diane de Poitiers Détail d'un tableau

Détail d’un tableau
représentant Diane de
Poitiers, montrant la tenue
délicate d’un anneau.

En dessous de la stèle gravée, se trouvent ses instruments d’astronomie comme un compas, un globe, un livre, un cône. Ce même tableau est aussi présent sur l’horloge astronomique de la cathédrale de Lyon. Je cite pour bien se rendre compte de l’importance de Copernic en tant que médecin, un article de Witold Rudoski sur Nicolas Copernic médecin, écrit à l’occasion du cinquième centenaire de sa naissance : « Copernic finit ses études médicales à Padoue en 1505, probablement avec le titre de licencié, l’autorisant à pratiquer la médecine. Nous ne savons pas si le grand astronome a obtenu le titre de docteur en médecine. […] Aussitôt après son retour en Pologne, en 1504, Copernic se rendit au chapitre de Warmia où, en 1507, il prit le poste de médecin du chapitre. Pour occuper ce poste responsable de « medici capitularis », tenant compte des hautes exigences imposées par le chapitre indépendant de Warmia, il fallait posséder la qualification médicale correspondant à celle de docteur en médecine. […] Dans ses moments de liberté, il s’occupait d’astronomie et méditait sur un nouveau système de l’univers. Il ne négligeait pas pourtant son exercice médical, faisant toujours bénéficier de ses connaissances tous ceux qui avaient besoin de son aide. Il essayait d’approfondir continuellement ses connaissances médicales et achetait des livres médicaux pour son propre usage et pour la bibliothèque de l’évêché de Warmia. Parmi les oeuvres dont se servait Copernic, on trouve principalement des manuels connus à cette époque, comme par exemple « Breviarum practicae medicinae », par Bartolomeus de Montagnana (Venise, 1499), « Practica in arte chirurgica », par Joannis de Vigo (1516). Les classiques de la médecine de l’Antiquité n’y manquaient pas non plus, comme Hippocrate : « De preparatione hominis », et Galien : « De affectorum locorum notitia », de même que les commentaires sur le « Canon » d’Avicenne. Il y prédomine donc des livres de caractère pratique, typiques pour une bibliothèque médicale de l’époque médiévale ».

Ce tableau n’est pas le seul et fait partie d’une série, d’un ensemble de quatre représentations. Une gravure de Tobias Stimmer de 1587, une autre gravure de Sabin Kauffmann de 1600 s’inspirant du travail du précédent et enfin un tableau anonyme allemand. La première gravure en bois de Tobias Stimmer se trouve dans l’imprimé intitulé Icones seu imagines virorum literis illustrium (Portraits de personnages illustres pour leur érudition) imprimé à Strasbourg en 1590. Au dessus de cette gravure se trouve la mention « mathematicus », c’est donc le mathématicien qui est mis en exergue et non le médecin. Au dessous de l’image on trouve encore cette inscription latine : « Quid tum? si mihi terra movetur, Solque quiescit. Ac coelum: constat calculus inde meus ». Le couplet exprime sa théorie héliocentrique : « Et quoi ? Si pour moi la terre a bougé, mais le soleil et le ciel sont restés immobiles : mes calculs sont sauvegardés. » Par rapport à la peinture, cette gravure présente Copernic en figure inversée, c’est à dire s’orientant vers la gauche contrairement au tableau. L’habit est toujours le même avec le col relevé (bien qu’il soit en fourrure dans le tableau, et en simple tissu dans la gravure) et le gilet sans manches.

Gravure au burin de Tobias Stimmer.

Gravure au burin de Tobias
Stimmer.

Copernic Peinture ecole allemande

Peinture de l’école allemande, 15-16ème siècles

Sabin Kauffmann

Sabin Kauffmann

 

Le brin de muguet, symbole des guérisseurs, en Pologne est donc un véritable attribut qui s’associe plus largement à l’homme qui étudie les sciences (muguet se dit Konwalia en polonais). Le muguet est intimement lié à la figure de Copernic. On voit notamment une multiplication d’objet reprenant cette iconographie : des pièces, médailles, des stèles faites à l’effigie de l’astronome tenant le brin aux clochettes blanches. Un très célèbre peintre polonais Wojciech Fangor (1922-) a même fait une copie intitulée Mikolaj Kopernik z konwalia (tableau ci-dessous). Mais le brin de muguet ne fait-il référence qu’aux médecins ou à l’homme qui étudie les sciences médicales ? Vraisemblablement non, une gravure de la Renaissance d’Albrecht Dürer nous présente Érasme à l’étude avec à côté de lui, du muguet (entre autre) dans un pot. Coïncidence ? On peut se poser la question. Peut-être était-ce un code de représentation des humanistes communément admis au XVIe siècle que d’associer le muguet au philosophe ou au médecin…

DURER MUGUET

Albrecht Dürer, Portrait d’Erasme de Rotterdam
Gravure au burin (1526, 25 x 19cm),

Pour marque-pages : Permaliens.

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