Odilon Redon Prince du Rêve

23 mars-20 juin 2011 Grand Palais, Galeries nationales entrée Champs-Elysées

Il faut voir cette exposition. D’abord, pour ceux qui ne le connaissent pas, pour découvrir Odilon Redon (Bordeaux 1840 – Paris 1916), un peintre finalement assez mystérieux.

D’abord le noir…

Odilon Redon a commencé sa vie de peintre par le dessin auquel il est resté longtemps fidèle.

Au début de l’exposition, on voit beaucoup de ses lithographies et dessins au fusain qu’il appelle ses « noirs » et noirs ils le sont, à tous les sens du terme.

Ce sont des dessins macabres et angoissés, on y voit des monstres en pagaille, assez effrayants, des anges déchus, etc… La première question qu’on se pose en les voyant, c’est de se demander si Odilon Redon est fou ? Ou bien est-il torturé par ses fantasmes ? Ou bien se contente-t-il de mettre ses cauchemars en image, utilisant ses rêves comme source d’inspiration ?

Araignée ou Araignée souriante
1881 Fusain, estompe, traces de gommage, grattage (rayures) et fixatif sur papier vélin chamois, 49,5 x 39 cm Paris, musée d’Orsay, conservé au département des Arts graphiques du musée du Louvre © service presse Rmn-Grand Palais / Jean-Gilles Berizzi

Il semble assez obsédé par les yeux, il en met un peu dans tous les coins, dessine des cyclopes… « L’oeil dans un ballon » ci-dessous en est un bon exemple, d’autant plus que si l’on regarde bien, la nacelle est formée d’une assiette dans laquelle se trouve une tête humaine :

A Edgar Poe Album de six planches et une couverturefrontispice
1882 Lithographies sur Chine appliqué sur vélin Paris, Bibliothèque nationale de France planche I :
L’oeil, comme un ballon bizarre se dirige vers l’infini 26,2 x 19,8 cm (motif) © Bnf

 

En fait il semble donc bien plutôt un explorateur de l’inconscient. Il dessine ses rêves. D’où le terme de « Prince du rêve » qui lui est attribué par l’homme d’affaires, avocat, collectionneur et critique d’art Thadée Natanson.

Quand on voit les portraits d’Odilon Redon, ou même des photos, ou son écriture de petit comptable, il ressemble plus à un bourgeois de province qu’à un déséquilibré.

Il illustre plusieurs livres (bien qu’il n’aime pas le terme d’illustrateur, considérant qu’il est plus un « traducteur » en images de ce qui s’écrit, car il prolonge le texte de l’auteur et par exemple, pour ce qui concerne Edgar Poe, les légendes placées sous les lithographies ne sont pas empruntées à l’écrivain, mais ont été inventées par Redon. D’ailleurs ce livre « A Edgar Poe » est totalement écrit par Redon. Certains mauvais esprits pensent même que c’était une façon de se faire connaître, étant donné qu’Edgar Poe était connu et apprécié…

Il y a un fond ésotérique et religieux dans ses dessins (Le Christ avec de grands yeux y est souvent représenté, ainsi que la Vierge Marie et des anges déchus).

Christ
1887 Lithographie sur Chine appliqué sur vélin 33 x 27 cm (motif) Paris, Bibliothèque nationale de France © Bnf

…Et ensuite la couleur !

L’exposition suit complétement la vie artistique de Redon, commençant par le noir, il se lance ensuite dans la couleur, d’autant plus importante et belle que la période précédente aura été sombre. En tant que visiteur de l’exposition, on le ressent parfaitement, on suit la logique redonnesque !

Certaines toiles sont assez « japonisantes », d’autres ressemblent à Gauguin (voir « plante verte dans une urne ») il passe de l’ombre à la lumière, mais d’autres bien qu’en couleur, restent toujours ésotériques, comme « la cellule d’or » ci-dessous :

La Cellule d’or
1892 ou 1893 Huile et peinture métallique dorée sur papier préparé en blanc, 30,1 x 24,7 cm Londres, The British Museum © The british museum, Londres Dist. Rmn-Grand Palais / Stéphane Maréchalle

Il peint aussi merveilleusement de simples ( !) vitraux. Même sur des toiles de coton brut, il y fait jaillir la lumière.

Il peint aussi beaucoup de fleurs (Voir à l’exposition « Anémones et coquelicots » qu’il peint en 1915, un an avant sa mort, un tableau magnifique).

À ce propos, la très belle phrase de son fils Arï qui se souvenait : « À Bièvres, se levant de bonne heure, mon père aimait commencer sa journée au fond du jardin, à lire quelques pages de Pascal – son auteur favori – ou de Montaigne, de Suarès, ou de Remy de Gourmont. Ma mère, pendant ce temps, préparait avec soin – et amour – son modèle : un grand vase de fleurs. »

Fleurs
après 1895 Huile sur toile 27 x 19 cm Paris, musée d’Orsay © service presse Rmn-Grand Palais / Hervé Lewandowski

Il se passera toute sa vie d’un atelier et peindra toute son oeuvre chez lui, même quand il habitera avenue de Wagram, un appartement assez cossu ! Sans doute parce qu’il a toujours refusé de franchir le pas qui l’aurait mené du bourgeois au peintre…

Fin de l’exposition, fin de sa vie

Une grande salle, à la fin de l’exposition, est la reconstitution de la salle à manger du château de Domecy, avec de grands panneaux décoratifs, essentiellement dans le style de celui ci-dessous :

Arbre sur fond jaune
Fusain, huile et détrempe sur toile 249,5 x 185 cm Paris, musée d’Orsay © service presse Rmn-Grand Palais / Hervé Lewandowski

Des fauteuils, des paravents et des tapis ont été dessinés par lui.

La dernière salle est pleine de ses dernières huiles, assez classiques, avec la fameuse « coquille », un pastel assez étonnants par la maitrise de la lumière.

La Coquille
1912 Pastel 52 x 57,8 cm Paris, musée d’Orsay © service presse Rmn-Grand Palais / Hervé Lewandowski

On sent à la fin de sa vie une grande paix, un calme intérieur que finalement il a probablement toujours eu.


Quelques citations

 

Mon père me disait souvent : « Vois ces nuages, y discernes-tu, comme moi, des formes changeantes ? » Et il me montrait alors, dans le ciel muable, des apparitions d’êtres bizarres, chimériques et merveilleux.
Odilon Redon, À soi-même

 

Cet album est peut-être l’un de mes préférés, parce qu’il est façonné sans aucun alliage de littérature. Le titre de Dans le rêve n’étant, en quelque sorte, qu’une clé d’ouverture.
Odilon Redon à André Mellerio, 1898

 

Autant que Baudelaire, M. Redon mérite le superbe éloge d’avoir créé un frisson nouveau… Seul de tous nos artistes, peintres, littérateurs et musiciens, il nous paraît avoir atteint à cette originalité absolue qui, aujourd’hui dans notre monde si vieux, est aussi le mérite absolu.
Émile Hennequin, 1882

 

En cette première époque de son art, l’artiste s’adressa au noir. Fusain, lithographie, pointe, crayon, il utilise tout ce qui par l’ombre aide l’essor du rêve ; et voici naître ces magiques dessins, ces planches que l’on estimera un jour comme la plus originale manifestation de l’idéalisme moderne.
Émile Bernard, 1916

 

Le métier chez Redon est extrêmement curieux et varié. Choix des papiers de Chine ou autres, chargement de la pierre à noirs redoublés, emploi de la plume, coups de grattoir,et le reste. L’artiste a usé parfois, et dans des conditions très spéciales, du papier report, laçant la feuille, pendant le travail, sur des surfaces lisses ou rugueuses destinées à produire des effets très différents.
André Mellerio, 1913

 

Le papier report est excellent pour l’improvisation. Je l’aime beaucoup parce qu’il obéit mieux que la pierre… celle-ci ne permet guère les aventureuses entreprises de ma fantaisie. Le papier cède, la pierre résiste. Je ne la comprends qu’après le premier coup de feu, après les chaudes fumées de l’improvisation initiale et sur le papier.
Odilon Redon, 1898

 

Quant à Flaubert, ce fut mon très regretté Émile Hennequin qui m’apporta la Tentation de St. Antoine, lorsqu’il eut vu les Origines. Il me dit que je trouverais en ce livre des monstres nouveaux. J’ai été vite séduit par la partie descriptive de cet ouvrage, par le relief et la couleur de toutes ces résurrections d’un passé.
Odilon Redon à André Mellerio, 1898

 

Tout se crée par la soumission docile à la venue de l’inconscient.
Odilon Redon, 1898

 

… la vieille maison de Peyrelebade, où ce que je fis de plus ardent, de plus passionné, de plus spontané vint surgir sous mes yeux : toutes les surprises de moi-même, toute ma conscience d’artiste, outre les souvenirs.
Odilon Redon, À soi-même

 

Je couvre les murs d’une salle à manger de fleurs, fleurs de rêve, de la faune imaginaire ; le tout par grands panneaux, traités avec un peu de tout, la détrempe, l’aoline, l’huile, le pastel même dont j’ai un bon résultat en ce moment-ci, un pastel géant.
Odilon Redon à André Bonger, 1901

 

J’ai voulu faire un fusain comme autrefois : impossible, c’était une rupture avec le charbon. Au fond, nous ne nous survivons que grâce à des matières nouvelles. J’ai épousé la couleur depuis, il m’est difficile de m’en passer.
Odilon Redon à Maurice Fabre, 1902

 

J’ai fait un art selon moi. Je l’ai fait avec les yeux ouverts sur les merveilles du monde visible, et, quoi qu’on en ait pu dire, avec le souci constant d’obéir aux lois du naturel et de la vie. Je l’ai fait aussi avec l’amour de quelques maîtres qui m’ont induit au culte de la beauté.
Odilon Redon, À soi-même

 


Biographie :

 

20 avril 1840

Naissance de Bertrand Redon, dit Odilon, à Bordeaux. Passe son enfance dans la propriété familiale de Peyrelebade, non loin de Listrac (Gironde).

1855

Prend des cours de dessin avec le peintre et aquarelliste bordelais Stanislas Gorin qui lui fait découvrir des oeuvres de Millet, Corot, G. Moreau, Delacroix et le laisse libre de ses propres aspirations esthétiques.

1857

Redon est en contact avec le botaniste Armand Clavaud, qui lui explique sa vision panthéiste de la nature, l’initie aux recherches scientifiques contemporaines, aux ouvrages de Baudelaire, Darwin, Flaubert, Poe et à la poésie hindoue. Il encourage son goût pour Delacroix et les romantiques. Entame des études d’architecture à Paris.

1862

Automne : échoue au concours d’entrée de la section Architecture à l’École des beaux-arts. Entreprend en décembre un voyage au Pays basque, qu’il poursuit au début de l’année suivante dans les Pyrénées et en Espagne.

1864

Rencontre Jean-Baptiste Camille Corot. Dès l’automne, Redon entre pour quelques mois dans l’atelier libre de Jean-Léon Gérôme à l’École des beaux-arts. Il réfute rapidement son enseignement.

1865

Apprentissage chez le graveur et lithographe Rodolphe Bresdin, à Bordeaux. À ses côtés, Redon forge sa véritable personnalité artistique, exécute ses premières eaux-fortes et découvre l’art de Dürer et de Rembrandt.

1868

Rédige des comptes rendus du Salon pour le quotidien « La Gironde ».

1870

Participe à la guerre franco-prussienne en tant que simple soldat.

1872

S’installe à Paris, quartier Montparnasse. Son existence se partage désormais entre Paris l’hiver et Peyrelebade l’été, où il exécute ses « Noirs ».

1874

Fréquente le salon littéraire et musical de Berthe de Rayssac. Ce rendez-vous hebdomadaire l’introduit auprès de l’homme de lettres Élémir Bourges, du peintre Paul Chenavard et du musicien Ernest Chausson. Décès de son père et début des problèmes financiers.

1879

Premier album de lithographies « Dans le Rêve ».

1er mai 1880

Épouse Camille Falte (1852-1923) à Paris.

1881

Première exposition personnelle de fusains dans les locaux de la revue « La Vie moderne » à Paris.

1882

Publication de l’album « A Edgar Poe ». Rencontre Émile Hennequin et Joris-Karl Huysmans. Le journal Le Gaulois accueille la seconde exposition personnelle de ses « Noirs ».

1883

Publication de l’album « Les Origines ».

1884

Édition d’ « À Rebours » de Huysmans. Redon expose au premier Salon des Artistes indépendants, où il rencontre probablement les peintres Émile Schuffenecker, Georges Seurat et Paul Signac.

1885

Édition de l’album « Hommage à Goya ». Début de l’amitié étroite entre Stéphane Mallarmé et Redon.

1886

Publication de l’album « La Nuit ». Prend part à la troisième exposition du « Cercle des XX » à Bruxelles puis à la huitième et dernière exposition des Impressionnistes à Paris, où il rencontre probablement Paul Gauguin. Décès de son premier fils, Jean.

1887

L’avocat et écrivain belge Edmond Picard publie « Le Juré », monodrame qui comporte des planches de Redon.

1888

Publication de « la Tentation de Saint-Antoine » (première série), d’après Gustave Flaubert. Première exposition en Hollande au Nederlandsche Etsclub à Amsterdam. Redon passe l’été en compagnie de Mallarmé.

1889

Il publie « À Gustave Flaubert » et prend part chez Durand-Ruel à la première « Exposition de Peintres-Graveurs ». Rencontre le peintre Émile Bernard. Naissance d’Arï, son second fils.

1890

Rencontre le collectionneur André Bonger, beau-frère de Théo Van Gogh. Parution de l’album « Les Fleurs du Mal ». Il édite la lithographie « Yeux clos » puis transpose son sujet en peinture.
1er décembre : suicide de Clavaud.

1891

Dédie l’album « Songes » à Clavaud. Parution à Bruxelles de L’OEuvre lithographique d’Odilon Redon, première monographie consacrée à l’artiste.

1894

Mars-avril : première grande rétrospective Redon à la galerie Durand-Ruel. Dans la Revue blanche, Thadée Natanson lui attribue le titre de « prince du rêve ».
Mai-juin : importante exposition et conférence sur Redon au Kunstkring de la Haye. Parution dans la revue bruxelloise L’Art moderne (25 août) d’une lettre de Redon à Picard sous le titre de « Confidences d’artiste ». Y donne les bases explicatives de son oeuvre.

1896

S’installe sur la rive droite. Publie la troisième série de « La Tentation de Saint- Antoine ».

1897

Fin avril à mi-novembre : dernier séjour prolongé à Peyrelebade avant la vente de la propriété familiale. En raison d’un différend lié à cette liquidation, les relations entre Redon et sa famille cessent.

1898

Exposition chez le marchand Ambroise Vollard.
Septembre : à Saint-Georges-de-Didonne (près de Royan). Il y apprend la mort de Mallarmé (9 septembre) qui le bouleverse profondément.

1899

Participe avec les artistes de la jeune génération à une exposition en son honneur chez Durand-Ruel. Publication de son dernier album lithographique, « l’Apocalypse de Saint Jean ».

1900

Fait la connaissance de Gustave Fayet, peintre et amateur d’art, et du poète Francis Jammes. Premier voyage en Italie, en compagnie de Robert de Domecy, pour qui il effectue la décoration de la salle à manger de son château de Sermizelles (Yonne). Maurice Denis peint « Hommage à Cézanne » (Paris, musée d’Orsay), où Redon figure parmi les peintres nabis Vuillard, Bonnard, Sérusier, Ranson, Roussel, Denis et son épouse Marthe, mais aussi Vollard et André Mellerio, critique et écrivain d’art.

1901

Avril : les décors pour le château de Domecy sont achevés. Passe l’été à Saint-Georges-de-Didonne, où séjournent tour à tour Vuillard, Jammes et le peintre Charles Lacoste.

1902

Abandonne définitivement ses « Noirs » durant l’été. Livre à la veuve d’Ernest Chausson des décors pour un boudoir de son appartement parisien.

1903

Exposition personnelle de pastels et de peintures chez Durand-Ruel. Redon est fait chevalier de la Légion d’honneur.

1904

L’État français acquiert le tableau « Yeux clos » pour le musée du Luxembourg. Le Salon d’automne consacre une salle à Redon. Son exposition rencontre l’adhésion du public.

1905

S’installe au 129, avenue de Wagram, sa dernière adresse à Paris.

1907

Vente aux enchères d’une partie de son fonds d’atelier à l’Hôtel Drouot. Une rétrospective de son oeuvre est présentée à la Kunstzaal Reckers à Rotterdam.

1908

Reçoit la commande de cartons de tapisserie pour la manufacture des Gobelins. Il écrit une préface en forme d’hommage pour le catalogue de la rétrospective Bresdin au Salon d’automne.

1909

Mai : la galerie Larensche Kunsthandel à Amsterdam lui fait l’honneur d’une exposition personnelle. Bonger donne à cette occasion une conférence basée sur des notes autobiographique de Redon. Elles sont publiées en septembre dans la revue d’art hollandaise Van Onzen Tijd sous le titre « Van Odilon Redon ».

1910-1911

Exécute son dernier grand décor : « Le Jour et La Nuit », pour la bibliothèque de l’abbaye de Fontfroide (Aude) à la demande de Fayet.

1913

Février-mars : l’Armory Show à New York présente un large panorama de son oeuvre. L’accueil est favorable. Publication par Mellerio d’une importante étude sur Redon suivie du catalogue de son oeuvre gravé et lithographié.

1914

Mobilisation d’Arï durant l’été en raison de la guerre.
6 juillet 1916 : Mort d’Odilon Redon à Paris. Il est inhumé au cimetière de Bièvres.


L’exposition sera présentée au musée Fabre de Montpellier du 7 juillet au 16 octobre 2011.

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