Emil Nolde (1867-1956) au Grand Palais

Du 25.09.08 au 19.01.09

La Rmn a l’excellente idée de présenter au public, au Grand Palais à Paris, une exposition consacrée au grand peintre expressionniste allemand, Emil Nolde.

Après « les images non peintes » au Musée de l’Abbaye Sainte Croix aux Sables d’Olonne consacrée aux aquarelles (plus faciles à cacher que des toiles) de Nolde pendant la période où le régime nazi lui avait interdit de peindre, le considérant comme « artiste dégénéré » (en raison de son style), voici donc la Rmn consacrant une grande exposition (90 peintures de la fondation Nolde et 70 aquarelles, gravures et dessins) à ce grand artiste relativement peu connu.

Sur le plan du style, Nolde s’inspire de tous les grands courants de son époque.

Il passe, comme tous les peintres, par des « périodes ».

Il adhère d’ailleurs à plusieurs grands mouvements de la peinture, même s’il reste un solitaire (en 1902, il écrit dans une lettre, à propos de Berlin : « Me revoilà en errance ici, tout me répugne. Cette mégalopole ! Personne n’est proche de mon cœur, je suis plus solitaire que jamais. Ces rues droites, longues, embrumées, tout ce public misérable, – je n’aime pas être ici. (…) J’aspire à la vie pure de la nature. Aux rayons de soleil, au vent d’ouest qui envoie les vagues fouetter la terre. ») et voudrait fonder une sorte d’« internationale des artistes » dont les membres viendraient d’un peu partout dans le monde.

Il changera souvent de style au cours de sa vie, passant du paysage au symbolisme, puis revenant aux paysages !

En 1904, le « printemps dans la chambre » rappelle un peu Bonnard, avec une virtuosité dans les couleurs assez exceptionnelle (il dit : les couleurs sont les notes que j’utilise pour créer des harmonies et des oppositions de sons et d’accords.

Ici était une photo de tableau, retirée à la fin de l’exposition (droits d’auteur).

En 1905, le tableau ci-dessous, intitulé « jour de moisson » fait penser, bien sûr, à Van Gogh (qu’il admirait) en plus « fauve » toutefois, plus violent dans les couleurs et la facture :

Il faut savoir qu’à l’époque des deux tableaux ci-dessus, à presque 40 ans, Emil Nolde n’a aucun succès et est, de plus, un parfait inconnu !

Il peint aussi des scènes religieuses, comme « la Pentecôte » ci-dessous, l’Esprit Saint descendant sur les apôtres sous forme d’une flamme violette qui part du sommet de la tête et descend sur leurs visages.

Il dit, à propos de ses tableaux religieux :

Si j’avais été lié par une foi biblique ou un dogme figé, je crois que je n’aurais jamais pu peindre avec cette force et cette émotion « la Cène » et « la Pentecôte ». Il fallait que j’aie conquis ma liberté artistique – que je n’aie pas affaire à un Dieu aussi dur et inflexible qu’un souverain assyrien, mais à un Dieu en moi, aussi brûlant et saint que l’amour du Christ.

Ici était une photo de tableau, retirée à la fin de l’exposition (droits d’auteur).

Il voyage beaucoup et s’intéresse notamment à l’Afrique, comme le montre « figure et masque », ne craignant pas de dérouter son public par un changement brutal de style :

Il déclare :

« Nous voulons amener la couleur et la lumière dans le tableau (…). Nous ne voulons pas rendre la profondeur mais porter chaque chose sur un même plan  »

Ce qui est d’ailleurs assez flagrant dans « Crépuscule », une toile très belle et très pure avec des aplats bleu, vert, jaune et bleu à nouveau.

Les couleurs chantent aussi dans « Jardin de Burchard » ! On pense bien sûr à Monet.

Il est à remarquer que, contrairement aux apparences, elles sont toutes plus ou moins rompues (sauf le rouge anglais du premier plan).

Il peint, en 1906, un portait du peintre Schmidt-Rottluff, dans des couleurs fauves :

Plus tard, en 1917, il réalise un remarquable autoportrait, avec uniquement des couleurs très rompues, des gris bleutés et des blancs contenant du vert.

Pourtant il semble fait de couleurs pures !

Mais il aime aussi les paysages et la mer. Ci-dessous un ciel tourmenté sur une mer déchaînée :

Également, dans les paysages, la très belle toile intitulée « la Ferme de Hülltof », remarquable par la pureté des lignes et ses couleurs très rompues sauf l’ocre rouge de la ferme, les reflets bleus dans les fenêtres et la meule de foin jaune orangée, ces trois couleurs représentant la percée de lumière éclatante qui se produit parfois sous un ciel sombre et orageux, entre deux averses.

Nous ne pouvons malheureusement pas ici représenter les 90 tableaux (et 70 aquarelles !) exposés aux Grand Palais, vous avez jusqu’au 19 Janvier 2009 pour découvrir ce très grand peintre.

Citation d’Emil Nolde : Tout l’art est abstrait. La réalité n’existe pas, ou alors ce n’est pas de l’art

Biographie d’Emil Nolde

1867-1884 : Emil Hansen naît le 7 août 1867 dans une famille de paysans, dans le village allemand de Nolde, près de la frontière danoise. Il prendra pour patronyme le nom de son village natal en 1902, après son mariage. Membre d’une famille nombreuse marquée par une religiosité teintée de paganisme, il fréquente l’école communale et les cours de catéchisme protestant, tout en participant aux travaux agricoles.

1884-1891 : apprentissage de quatre ans d’ébéniste et de sculpteur sur bois. Après l’obtention de son diplôme, il travaille d’abord à Munich, puis à Karlsruhe où il suit les cours de l’école des Arts appliqués, et à Berlin. 1892-1897 : Nolde enseigne le dessin industriel, les arts décoratifs et le modelage en Suisse, au musée de l’Industrie et de l’Artisanat de Saint-Gall. Il peint les sommets alpins à l’aquarelle, au format de cartes postales, avec des personnifications grotesques. Leur parution dans Jugend est un vif succès et leur vente fructueuse permet à Nolde d’abandonner son métier de professeur pour devenir peintre indépendant.

1895-1896 : travaille laborieusement sa première peinture à l’huile, Les géants de la montagne, refusée à l’exposition annuelle internationale de Munich. automne 1899-début 1900 : il prend quelques cours à l’académie Julian, étudie les collections du Louvre.

1900-1901 : à Copenhague, Nolde est assailli par le doute. Il fréquente l’école de Kristian Zartman, l’un des coloristes scandinaves les plus audacieux de sa génération. Rencontre d’une jeune comédienne et musicienne danoise, Ada Vilstrup.

1902 : il épouse Ada Vilstrup. Elle tombe malade.

1903 : Nolde loue une résidence à Guderup, sur la côte sud de l’île d’Alsen, où il passera chaque été jusqu’en 1916 ; sur la plage, il bâtit un atelier en bois.

1904 : l’Eglise d’Ølstrup lui commande un retable : il peint le Christ à Emmaus, inspiré par Les pèlerins d’Emmaus de Rembrandt. Suit un splendide portrait postimpressionniste d’Ada, Printemps dans la chambre. La rente des cartes postales est épuisée et le couple vit dans la gêne.

1905 : voyage en Italie. Début de l’oeuvre graphique avec les Phantasien (fantaisies) gravées.

1906-1907 : la période Du Brücke : séduits par ses « tempêtes de couleurs », les artistes du groupe Die Brücke [Le Pont] invitent Nolde à se joindre à eux à Dresde. Il acquiert le statut de « membre actif », c’est-à-dire de créateur, du groupe fondé en juin 1905.

le 15 février 1906, Ada rend visite à Karl Ernst Osthaus, fondateur en 1899 du musée Folkwang de Hagen, l’un des plus audacieux lieux d’exposition de son temps. Pour inaugurer leur amitié, Osthaus achète le Printemps dans la chambre. Grâce à Nolde, il s’enthousiasme pour le Brücke. été 1906 : dans la « chronique du Brücke », Kirchner indiquera que Nolde initie ses collègues à la gravure.

hiver 1906-1907 : début des dissensions entre le couple Nolde et le Brücke, auquel Emil reproche de mal gérer ses propres intérêts et de ne pas suffisamment s’ouvrir à l’art international.

21 mars-9 avril 1907 : séjour de Nolde à Dresde. Il rapporte dans son autobiographie les visites du Brücke : « … Heckel, Kirchner, Pechstein, des jeunes gens d’une grande fraîcheur, de jeunes artistes pleins d’élan et de vitalité. Heckel était terriblement stimulant, Kirchner ne disait pas grand chose, Pechstein riait de bon coeur. » [Mein Leben, p. 146]

novembre 1907 : Nolde adresse une lettre à Heckel (trésorier et administrateur du Brücke) dans laquelle il lui signifie son retrait du Brücke. Soucieux d’éviter tout échange ultérieur, il ne lui confie pas son adresse à Berlin.

De juillet 1906 à décembre 1907, l’oeuvre graphique et les peintures de Nolde sont exposés dans 24 lieux différents.

début 1908 : il est coopté comme membre de la Sécession de Berlin alors que depuis 1905, il avait seulement le statut d’invité occasionnel.

mars 1908 : Nolde est à Cospeda. Il expérimente la technique de l’aquarelle et trouve une méthode apparentée au tachisme.

début 1909 : Nolde tente de s’opposer à l’hégémonie de la Sécession à la solde, selon lui, de l’ancienne génération et surtout de Liebermann. Il souhaite fonder une union de jeunes artistes issus de tous les pays intitulée Die Zeitgenosen, « Les contemporains ». Dans une lettre à Munch, qui serait leur mentor, il cite entre autres Hofer, Beckmann, Rohlfs, Schmidt-Rottluff, Amiet, Matisse, Puy, les suédois Gustav Viegeland, Carl Milles, Axel Törneman et d’autres étrangers à sélectionner. Munch ne répond pas à ce courrier et le projet ne sera jamais réalisé. été 1909 : Nolde survit de justesse à un empoisonnement provoqué par de l’eau non potable. Dans le village de Ruttebüll, il peint « dans un état de transe » une importante série d’oeuvres religieuses : La Cène, Le Christ aux outrages, Pentecôte, Crucifixion. _ Nolde souhaite représenter les personnages bibliques le plus fidèlement possible par rapport à son idée de la physionomie des populations méditerranéennes du début du premier millénaire.

hiver 1909-10 : acquisition d’un atelier à Berlin sur la Tauenzienstrasse. Visite de Von König et de Beckmann qui manifeste une attitude hautaine vis-à-vis des oeuvres de Nolde.

mai 1910 : fondation de la « Nouvelle Sécession comptant vingt sept artistes rejetés de la Sécession. Bien qu’informé, Nolde n’y participe pas.

octobre-décembre 1910 : deuxième exposition de la Nouvelle Sécession, « Artistes dessinateurs », dans laquelle figurent huit dessins et aquarelles de Nolde. Il participera aux expositions suivantes jusqu’au début de l’année 1912. Les travaux de Nolde dont Pentecôte, qui lui est particulièrement cher, et ceux du Brücke sont refusés par le jury de la Sécession de Berlin. Nolde prétend que le président Max Liebermann en fait une affaire personnelle et que celui-ci menace de se retirer si le jury accepte Pentecôte.

8 décembre 1910 : Liebermann convoque une réunion de la Sécession pour discuter des problèmes soulevés par Nolde, mais aussi par Beckmann et von König. Nolde y assiste sans prendre la parole.

10 décembre 1910 : Nolde adresse à Liebermann une lettre d’injures avec un double au périodique Kunst und Künstler.

17 décembre 1910 : session extraordinaire de la Sécession pour répondre à la lettre de Nolde par vote. Avec 40 voix pour, 2 contre et 3 abstentions, Nolde est exclu. hiver 1910-1911 : Emil et Ada Nolde se plongent dans la vie nocturne berlinoise, pour laquelle les sentiments de l’artiste sont ambivalents. La « grande prostituée », symbole pour eux de déchéance, de luxure et de perte d’identité, est aussi une « ville remarquablement stimulante ». avril 1911 : voyage à Bruxelles, visite du musée des Beaux-Arts, où le couple Nolde est choqué de ne pas trouver d’oeuvre de James Ensor. A Ostende, Ada et Emil sont reçus chez Ensor, sans qu’un réel échange soit possible à cause de la barrière linguistique. Voyage à Amsterdam pour Rembrandt dont il admire la Ronde de nuit. Nolde s’imprègne aussi des oeuvres de Franz Hals et Van Gogh.

novembre 1911 : il fréquente assidûment le musée ethnologique de Berlin où il croque les sculptures et les masques d’Océanie, d’Afrique et d’Amérique précolombienne. 5 décembre 1911 : la Nouvelle Sécession se disloque avec le retrait de Pechstein, suivi de tout le Brücke, alors que Nolde allait en être le Président.

janvier-février 1912 : achèvement du polyptyque en neuf volets de La vie du Christ montré à l’occasion d’une grande exposition Nolde au Folkwang Museum de Hagen. Rejet pour l’exposition d’art moderne religieux de Bruxelles et pour le Sonderbund de Cologne.

juillet-août 1913 : achat d’une petite ferme à Utenwarf, près de Seebüll. automne 1913 : Nolde est invité par l’office colonial du Reich à participer à une expédition médicale et démographique en Nouvelle-Guinée. « L’objectif en était l’étude des conditions sanitaires dans les colonies allemandes. Il s’agissait en particulier d’analyser la cause de la dénatalité chez les indigènes. Ce phénomène était inquiétant pour la prospérité de la colonie, dans la mesure où les indigènes servaient de main d’oeuvre aux planteurs et aux coloniaux. » Aux côtés des deux médecins chargés de la question démographique et de l’observation des particularités raciales de la population, Alfred Leber et Ludwig Külz, et de la jeune infirmière Gertrud Arnthal, Nolde n’est pas mandaté officiellement en tant qu’artiste mais seulement en tant qu’observateur. _ Pourtant, son but intime est bien d’y « apprendre à connaître la primitivité intacte de la nature et des hommes de chaque civilisation.

Séjour en Nouvelle-Guinée à partir du 13 décembre 1913

25 mars 1914 : Nolde adresse un écrit officiel au Bureau du Reich chargé des colonies dénonçant le rapt par les pays étrangers de toutes les richesses artistiques et culturelles des insulaires. 1917 : Nolde détruit 15 de ses peintures, et peint un grand Autoportrait au chapeau de paille et aux yeux bleus sous l’influence de Van Gogh.

1918 : expositions à Hanovre, Munich. Nolde refuse un poste de professeur à l’Académie de Karlsruhe.

1920 : inauguration d’une salle Nolde à la National galerie de Berlin.

printemps 1921 : nombreux voyages dans toute l’Europe.

1927 : Nolde a 60 ans.

30 janvier 1933 : arrivée d’Hitler au pouvoir.

hiver 1933 : Nolde reçoit la visite de Kandinsky

15 mai 1933 : Max von Schiling, président de l’Académie prussienne des arts, réclame la démission de Nolde qui refuse d’obtempérer.

été 1933 : la ligue des étudiants nazis, proche de Goebbels, nomme Nolde président des Écoles d’Art Unies.

8 avril 1934 : Ada et Emil Nolde écrivent leur testament, dans lequel ils mettent le domaine de Seebüll à la disposition de la région de Tondern, dans le but d’établir des relations de paix entre les habitants de part et d’autre de la frontière germano-danoise.

15 septembre 1934 : Nolde intègre la « coopérative National Socialiste du Schleswig du Nord » (National-Sozialistische Arbeitsgemeinschaft Nordschleswig) qui fusionne un an plus tard avec le Parti National Socialiste du Schleswig du Nord (NSDAPN).

mai 1935 : dans la Kunsthalle de Hambourg, une salle entière est dédiée à Nolde. Certaines oeuvres religieuses, dont La mise au tombeau, doivent être décrochées.

décembre 1935 : traité pour un cancer de l’estomac, Nolde subit une opération à Hambourg.

1936 : convalescent en Suisse, Nolde rend visite à Klee à Berne.

7 février 1937 : le tribunal de Hambourg enquête sur l’adhésion de Nolde au NSDAP (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei), dans le but de l’exclure. Il conclut le 18 mars qu’il n’a pas adhéré.

été 1937 : campagne nazie contre l’« Art dégénéré ». Durant l’exposition de Munich, ouverte le 20 juillet, puis lors de tournées dans d’autres villes, 48 peintures de Nolde, dont le polyptyque de La vie du Christ, sont offertes en pâture au public. 1052 oeuvres de Nolde sont confisquées aux musées allemands : il bat ainsi tous les records des artistes bannis par les nazis.

2 juillet 1938 : Nolde écrit à Goebbels pour récupérer les oeuvres qui lui appartiennent, en dépôt dans les musées. Bien que Goebbels ne réponde pas, il adresse à Nolde les tableaux demandés dont La Vie du Christ. 20 mars 1939 : plusieurs oeuvres de Nolde figurent parmi les 5000 pièces brûlées par les nazis à Berlin.

mai 1939 : première visite dans l’atelier de Berlin du couple Sprengel, riches industriels amateurs d’art qui apporteront un grand soutien à Nolde durant la guerre en lui fournissant du matériel de peinture, des vivres, et en cachant les toiles réclamées par les nazis.

23 août 1941 : la Gestapo est chargée de vérifier le respect de l’interdiction de peindre. Pour lui échapper, et puisqu’il lui est impossible de se procurer le matériel nécessaire, Nolde ne peint que de petites aquarelles (environ un millier) sur des papiers de récupération (« images non peintes »).

mai 1942- 1945 : Nolde reste cloîtré à Seebüll. 7 novembre 1946 : mort d’Ada.

1953 : Nolde reçoit la médaille « Pour le mérite », équivalent en Allemagne à la légion d’honneur, pour les arts et les sciences.

13 avril 1956 : Emil Nolde meurt à Seebüll. Il est inhumé auprès d’Ada dans le jardin.

La fondation « Ada et Emil Nolde » est créée.

(Source Rmn)

le 12 septembre 2008
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