Une quarantaine de ses toiles sont ici exposées.
Qui sont les Rouart ?
La famille Rouart est une grande famille d’artistes qui, en raison de plusieurs mariages, deviendra une véritable galaxie de peintres, écrivains, poètes, philosophes, etc.
Elle compte parmi ses membres, plus ou moins proches les uns des autres, Berthe Morisot, les frères Manet, Paul Valéry, Mallarmé, et le dernier en date qui n’est autre que Jean-Marie Rouart, le célèbre écrivain et Académicien contemporain.
Henri Rouart, né en 1833, est évidemment l’un des piliers de cette dynastie d’artistes.
Industriel, peintre et mécène
Henri Rouart est un ingénieur, grand industriel qui eut un temps le monopole des tubes en France, mais dont la passion est la peinture.
Un de ses camarades de classe, qu’il rencontre en troisième au Lycée Louis-le-Grand à Paris, s’appelle Edgar Degas.
Ils resteront amis leur vie durant et l’un des fils d’Henri Rouart, Ernest, qui épousera la fille de Berthe Morisot, sera l’élève de Degas (le seul d’ailleurs !)
Henri Rouart évolue donc dans le milieu de la peinture, parmi les plus grands peintres de l’époque et en devient aussi un mécène.
Parallèlement à son travail d’ingénieur, il peint et dessine autant qu’il peut.
Il se rend souvent, en fin de semaine, à Barbizon où il peint avec Millet (dont il achète aussi des œuvres).
Il rencontre aussi Corot à Paris qui lui donne des conseils à l’occasion (on verra dans la toile intitulée « Chemin au Mée, Melun » une jeune femme coiffée d’un bonnet rouge qui fait fortement penser au style de Corot !).
La vie d’Henri Rouart n’est pas sans rappeler celle de Caillebotte… Ils sont tous les deux allés au Lycée Louis-le-Grand, même s’ils n’ont pu s’y rencontrer (quinze années les séparent), et tous les deux sont devenus ingénieurs, peintres (impressionnistes) et mécènes.
L’exposition
Une magnifique exposition, dans le cadre, toujours enchanteur, du musée Marmottan.
Les toiles que nous verrons ici (une quarantaine), proviennent presque toutes de collections privées et de quelques musées suisses et français.
Il y a également de belles aquarelles sur de petits carnets (Henri Rouart aimait beaucoup l’aquarelle et le dessin).
C’est d’ailleurs un grand dessinateur (il obtient un accessit de dessin à Louis-le-Grand à 14 ans).
Le peintre des arbres
Henri Rouart excelle dans l’art de peindre la nature, les arbres en particulier.
Il y a ici de nombreuses peintures d’arbres , toutes plus merveilleuses les unes que les autres.
Comme on peut le voir dans la toile ci-dessous (un chef-d’œuvre selon moi), faîte uniquement de verts différents (si l’on excepte le bleu du ciel), il y a dans sa façon de peindre la forêt, les arbres, comme un véritable hymne à la nature.
Il fait de ces grands arbres de véritables cathédrales de verdure, tellement l’agencement des verts est en réalité complexe et beau.
La délicatesse des tons, le velouté des couleurs et la précision du dessin, la pelouse plus claire, mise en relief par deux lignes d’ombre, montrent qu’Henri Rouart, est un très grand peintre. Il allie la rigueur de l’ingénieur à la sensibilité du peintre.
Il peint aussi des fleurs, ici un massif, remarquable par sa facture et son équilibre.
Ce tableau, contrairement aux apparences, est très structuré, notamment par la verticalité des deux masses grises au fond (des arbres ? Peu importe…) et l’oblique de l’allée. Les couleurs chantent et enchantent !
Le dessin n’est pas absent mais sous-jacent, comme souvent chez Rouart.
On voit ci-dessous un détail qui montre et démontre que la technique est parfaitement impressionniste, et il n’est pas impossible qu’il ait mis les dernières touches à sa toile en atelier :
Les voyages
Une des sections de l’exposition concerne les voyages, même s’il ne s’agit parfois que de petits voyages !
Dans cette section figure une toile remarquable, un bateau à vapeur qui passe sur la Seine, à Rouen :
Toutes les couleurs sont fortement rompues, presque « sales », mais de l’ocre rouge vient éclairer la toile : sur la coque du bateau et, dans la fumée !
Si l’on y réfléchit, il est étonnant qu’il y ait du rouge dans la fumée… à moins d’énormes escarbilles !
Je pencherais plutôt pour des raisons purement esthétiques, deux traces de pinceau qui viennent donner tout l’équilibre à ce tableau sur le plan des couleurs.
Les portraits
Si Rouart semble moins à l’aise, tout au moins plus inégal, dans ses portraits que dans les arbres ou les fleurs, on pourra cependant voir ici celui d’une « jeune femme au jardin » (peut être celui de sa fille Hélène) rappelant La Capeline rouge de Monet, notamment par sa facture et l’agencement des couleurs :
Rouart précurseur ?
Autre portrait intéressant à cause de son côté « Nabis »(plutôt inattendu chez Rouart) : « Hélène Rouart lisant dans le jardin de Melun ». Une grande ressemblance avec un Maurice Denis, un Valloton ou un Vuillard !
Étant donné que cette toile est datée d’avant 1886 et que les Nabis ont plutôt œuvré après 1890, on peut se demander si Rouart n’était pas aussi un peu précurseur ? Sur le plan du traitement des arbres, on est ici en effet plus proche des Nabis que des Impressionnistes…
Pour résumer, je dirais que cette exposition est à voir absolument, d’abord parce qu’Henri Rouart représente parfaitement la technique impressionniste et aussi parce qu’il est trop peu connu par rapport à son talent.
L’exposition devait se terminer le 11 novembre 2012, mais elle est prolongée, en raison de son succès, au 9 décembre 2012.
Repères biographique (Source Musée Marmottan Monet)
2 octobre 1833
Naissance d’Henri-Stanislas Rouart, au 114 rue Saint Honoré, fils aîné d’Alexis-Stanislas Rouart (1800-1875) et d’Henriette Charpentier (1814-1889).
21 mars 1839
Naissance du frère d’Henri, Alexis-Hubert.
1846 – 1849
Entre treize et seize ans, Henri Rouart poursuit ses études au lycée Louis-le-Grand : ses condisciples sont Edgar Degas, né également à Paris en 1834, Louis Bréguet et Ludovic Halévy, futur librettiste de Carmen et de La Belle Hélène. Au palmarès de 1847, Rouart obtient un accessit de dessin.
Cette même année, son père passe commande d’un portrait de ses deux fils à Auguste Bonheur (1824-1884), frère de Rosa Bonheur. Le tableau sera par la suite donné au musée de Pau.
1851 – 1852
Henri prépare l’École Polytechnique au collège Sainte-Barbe dont les bâtiments sont situés dans l’actuelle rue Valette, au centre du Quartier Latin.
Au cours de ces mêmes années, Alexis-Stanislas acquiert à La Queue-en-Brie, proche d’Ormesson, une maison qui deviendra par la suite le lieu de séjour privilégié de ses enfants et le thème de nombreux tableaux pour Henri.
1853
Rouart est reçu 27e au concours de l’École Polytechnique.
Mai 1855
Il entre à l’école d’application de Metz comme officier du 2e régiment d’artillerie où il restera environ un an.
1858
Il entre dans l’entreprise Kaulek et Mignon, installée rue de Ménilmontant, qui deviendra par la suite la rue Oberkampf où il habite et a son atelier.
1860
Il crée avec Jean-Baptiste Java Mignon (1824-1894), ingénieur des Arts et Métiers, une entreprise sous le nom de Mignon et Rouart. Il dessine fréquemment, commence à peindre et également à collectionner.
1861
Mariage d’Henri Rouart avec Hélène Jacob-Desmalter, fille de Georges-Alphonse Jacob Desmalter (1789-1870), dernier ébéniste d’une dynastie célèbre. En septembre, dans la région de Gènes, Rouart effectue avec sa jeune épouse un premier voyage en Italie au cours duquel il réalise des aquarelles.
1863
Il exécute à la sépia le premier portrait de sa femme.
1864 – 1867
En fin de semaine, Rouart se rend fréquemment à Barbizon où il habite chez le peintre Tillot, ami de Théodore Rousseau et de Jean François Millet. Rouart peint auprès de Millet dont il acquiert de nombreuses oeuvres. Au cours de ces mêmes années, mais à Paris, il reçoit les conseils de Corot qu’il collectionne également, particulièrement les oeuvres réalisées en Italie dédaignées du public.
1865
Naissance de sa première fille Lucie qui ne vivra que quelques années et mourra à Pau en 1868.
1866
Cette année marque une large extension de son activité d’ingénieur et d’entrepreneur : il crée une usine de fers creux à Montluçon où il se rend désormais souvent, profitant de ses déplacements pour dessiner, prendre des notes en vue de tableaux, peindre sur le motif. Séjourne l’été en Bretagne avec le peintre Levert, dans la région de Lamballe, de Rosporden et de Quimperlé où il retournera les années suivantes.
1868
Un de ses tableaux figure pour la première fois au Salon où il exposera chaque année jusqu’en 1872 (comme « élève de Levert, Véron et Brandon »).
Naissance de sa fille Hélène.
Peint un Souvenir des Alyscamps qui sera exposé au Salon en 1872.
1869
Acquiert un terrain au 34 rue de Lisbonne, face à la rue Mollien.
Voyage en Égypte en juin et juillet, au moment de l’ouverture du Canal de Suez. Il réalisera deux ou trois tableaux inspirés par les rues du Vieux Caire et dessinera sur ses carnets des scènes prises sur le bateau ou des vues de la ville.
Naissance le 7 octobre de son fils Alexis, au Mée, face à Melun, dans la propriété de la famille Jacob Desmalter où il peint fréquemment les bords de la Seine, la terrasse face à Melun, des vues de la ville ou les allées ombragées comme les statues entre les arbres d’un jardin à l’italienne créé par son beau-père.
1870
Début octobre, lors de la défense de Paris, il est rappelé comme officier et commande une batterie à Vincennes (bastion 12) à laquelle sera également affecté Degas qui s’était engagé dans la garde nationale : il le verra désormais régulièrement jusqu’à la fin de sa vie.
1871
L’architecte Henri Fèvre, beau-frère de Degas, entame la construction du 34 et du 36 rue de Lisbonne. Rouart s’installe au 34, où il a désormais son atelier et sa collection.
1872
Naissance de son deuxième fils Eugène, le 22 août.
Séjours en Normandie, en Bretagne, dans les Charentes.
1873
Participe avec deux paysages au Salon des Refusés.
Voyage en Bretagne, à l’île Bréhat, à Portrieux.
Fondation de la Société anonyme coopérative d’artistes, futur groupe impressionniste.
Construction de l’usine et des bureaux de la firme Rouart au 173 boulevard Voltaire.
1874
Participe à la première exposition impressionniste, le 15 avril. Il expose deux tableaux de Bretagne, une Levée d’étang et une vue de Melun, peut-être La Terrasse, et prête un tableau de Degas « Intérieur des coulisses ».
1875
Mort de son père, le 16 février.
Séjourne à La Châtre, voyage à Amsterdam, à Vendôme.
Naissance de son troisième fils Ernest, le 24 août, qui épousera Julie Manet, fille de Berthe Morisot, en 1900.
Séjour à Honfleur où il rend visite à Cals (en septembre).
1876
Deuxième exposition impressionniste. Il expose huit tableaux dont trois vues de Melun, un Chemin bordé d’arbres peint en Normandie et trois dessins.
1877
Troisième exposition impressionniste. Degas y expose son portrait d’Henri Rouart devant la cheminée de son usine du boulevard Voltaire, et Rouart les Bords de la Sédelle dans la Creuse, une vue de la Vallée de Cauterets et le Quai des Fourneaux à Melun.
1878
Naissance de son dernier fils, Louis.
1879
Premier séjour à Venise dont il rapporte toiles et aquarelles. Peint à Bougival, Honfleur, Antibes.
Quatrième exposition impressionniste où il expose neuf tableaux dont deux vues d’Égypte.
1880
Cinquième exposition impressionniste où il expose principalement des aquarelles de Venise.
1881
Il participe à la sixième exposition impressionniste avec quinze paysages dont une Vue d’Antibes et la Tour Constance à Aigues Mortes.
1882
Solidaire de Degas qui refuse d’y exposer, il ne participe pas à la septième exposition impressionniste, mais il assume les frais de location de la salle.
1883
Voyage en Italie, à Vérone et à Venise, où il réalise de nombreuses aquarelles.
1884
Les 4 et 5 février, il acquiert « La Leçon de musique » à la vente Manet qui suit la disparition prématurée du peintre.
Nouveau séjour à Cauterets où il brosse plusieurs tableaux, vues de villages et de montagnes.
1885
Assiste au banquet organisé par Antonin Proust en souvenir de Manet, chez le père Lathuille, auquel participent de nombreux artistes comme le musicien Chabrier, Zola et Mallarmé, ou les peintres Fantin-Latour, Forain, Renoir, Sargent.
Degas, à la demande d’Henri Rouart, entreprend le portrait de sa fille Hélène, avant son mariage avec Eugène Marin : il envisage de la placer au centre d’une vaste composition où figurerait Henri et Hélène, mais ne retient finalement que la fille de son ami et, jugeant le tableau inachevé, le gardera à l’atelier. L’oeuvre, acquise en 1917 par Gimpel, figure aujourd’hui à la National Gallery de Londres.
1886
Huitième et dernière exposition impressionniste où il expose quatre tableaux dont une Lisière de bois et surtout des aquarelles de Blois, de Pau et de Venise.
Mort de sa femme, le 18 juillet.
1889
Dans une petite galerie du boulevard Malesherbes, rencontre avec le sculpteur Medardo Rosso que Rouart soutiendra à plusieurs reprises et qui fera son buste l’année suivante. Rouart le présente à Degas qui le tiendra pour un « grand talent ».
1890
Participe à la souscription en faveur de L’Olympia de Manet.
1893
Peint dans les Pyrénées et à la Commanderie de Ballan-Miré, propriété de Madame Brandon où il séjournera désormais souvent jusqu’à ses dernières années.
1894
Peint dans la Creuse et sur les bords du Cher.
1895
Voyage à Marseille et à Saint-Raphaël.
Mariage de son fils Alexis avec Valentine Lamour. D’abord avocat, Alexis deviendra éditeur de musique.
1896
Naissance de sa petite-fille Madeleine, fille d’Alexis et de Valentine.
La mort de sa belle-mère Hortense Jacob, née Ballu, entraîne la vente de la propriété du Mée, à Melun, où Rouart a fréquemment séjourné et peint depuis trois ou quatre décennies.
1898
Mariage de son fils Eugène avec Yvonne Lerolle, fille du peintre et collectionneur Henry Lerolle.
1899
À la suite de la mort brutale de son gendre Eugène Marin auquel il en avait confié la direction, il cède son usine des fers creux à Montluçon. À la demande de son amie Madame Brandon, chez laquelle il séjourne fréquemment, il décore de peintures sur toile la salle de l’Hôpital de Ballan-Miré pour laquelle il reprend certaines vues de Venise qu’il agrandit et des éléments d’Azay-le-Rideau, de vues du Cher ou de Melun qu’il juxtapose un peu comme un bilan de son existence de peintre.
1900
Ernest Rouart, qui étudie la peinture à son tour et recueille les précieuses leçons de Degas, épouse le 31 mai Julie Manet, fille de Berthe Morisot, tandis que sa cousine Jeannie Gobillard épouse Paul Valéry.
1901
Mariage de Louis Rouart et de Christine Lerolle, soeur d’Yvonne. Toutes deux figurent sur des tableaux peints par Renoir.
Naissance à Paris d’Hélène, fille d’Alexis et de Valentine.
1902 – 1905
Henri Rouart partage son temps entre la Touraine, où il pratique la peinture et l’aquarelle, et La Queue-en-Brie où Degas vient parfois le voir malgré son horreur de la campagne.
La collection de Rouart qu’il n’a cessé d’accroître, et qu’il ouvre chaque semaine au public, attire de nombreux peintres et amateurs (Gide, Valéry, Matisse, Signac…).
1906
Naissance de Paul Rouart, fils d’Alexis et de Valentine.
1911
Mort de son frère Alexis-Hubert dont la collection sera dispersée à l’Hôtel Drouot au mois de mai.
1912
Mort d’Henri Rouart le 2 janvier.
Exposition pour la première fois d’une cinquantaine de ses oeuvres à la Galerie Durand-Ruel.
Vente de sa collection (le 5 décembre) qui attire de nombreux collectionneurs, directeurs de musées et de galeries venus des quatre coins du monde.
1913
Seconde vente de sa collection.
1933
Exposition d’Henri Rouart, préfacée par Paul Valéry, à la Galerie Rosemberg, pour le centenaire de sa naissance.
1951
Exposition Henri Rouart et Ernest Rouart à la Galerie Durand-Ruel.