Une magnifique expo, au Grand-Palais à Paris.
Félix Valloton est né en Suisse en 1865. Sa carrière, outre celle de peintre, fut aussi marquée par le journalisme (critique d’art) et par la rédaction de romans (« La Vie meurtrière » entre autres). Ses gravures sur bois (xylographies) sont souvent pleines d’humour et c’est un très bon dessinateur avec un grand sens de l’ellipse. D’un seul trait, il est capable de dessiner un portrait ressemblant.
Il manie avec brio une ironie presque britannique…
La RMN a divisé l’exposition en une dizaine de thèmes :
Idéalisme et pureté de la ligne – Perspectives aplaties – Refoulement et mensonge – Un regard photographique – La violence tragique d’une tache noire – Le double féminin – Érotisme glacé – Opulence de la matière – Mythologies modernes et C’est la Guerre !
Idéalisme et pureté de la ligne
Essentiellement des portraits dont le fameux « autoportrait à l’âge de vingt ans ». Très classiques, parfaits et parfois avec une pointe d’ironie, une légère exagération dans une courbe, à peine perceptible, comme dans celui de Thadée Natanson ! Ou même l’humour peut se retrouver dans l’absence de caricature, dans la réalité cruelle, le réalisme parfait (voir par exemple le portrait de Gertrude Stein !) ou celui d’Emile Zola
Perspectives aplaties
Il y a ici de merveilleux paysages, légèrement déformés à la manière Nabis (dont il a fait partie), avec des couleurs pales et rompues mais extraordinaires, souvent des perspectives aériennes, il est en haut, le sujet en bas, comme la « Grève blanche » ci dessous (à noter que la plage est plus blanche dans le tableau que sur le visuel) :
Les vues sont en plongée ou en contre-plongée. La perspective est dite « aplatie » dans le sens ou le tableau est plus fait d’une juxtaposition de plans que de lignes de perspective classique.
C’est à mon avis la plus belle et la plus étonnante partie de l’exposition, la plus « Nabis » aussi.
Refoulement et mensonge
La RMN nous dit qu’il y a, « sans être autobiographique, une conception désabusée de l’amour chez l’artiste où la femme est représentée comme une créature futile, calculatrice, cruelle, insatiable et triomphante ». Tout cela est assez psychanalytique… Mais on se demande surtout comment c’est possible sans être, peu ou prou, autobiographique… D’ailleurs, Thadée Natanson a épousé Misia, son ancienne maîtresse, et nulle doute que cet évènement a eu une importance énorme sur la vision qu’il a de la femme en général.
En fait, ce sont des tableaux pleins de sous entendus, comme « le provincial ». L’homme, légèrement honteux et refoulé, baisse la tête devant son petit verre d’absinthe. On imagine la suite ! D’autant plus que le profil de la jeune femme fait étonnamment penser à Misia…
Dans « La loge de théâtre » (qui sert d’affiche à l’exposition), la perspective (contre plongée) est amusante, en ce qu’on voit très peu la dame et la moitié de la tête du »monsieur » ! Ce tableau n’est pas sans rappeler Edward Hopper, avec quelques années d’avance !
Un regard photographique
Vallotton achète en 1899, un appareil photo Kodak. Il s’en sert pour ses tableaux, c’est évident, bien que les organisateurs de l’exposition semblent dire que l’utilisation en est simultanée ou même qu’il fait ses photos après ses tableaux, ce qui est impossible ! D’ailleurs en regard des tableaux se trouvent les photos correspondantes et on voit bien qu’elles sont faites avant (quel intérêt y aurait-il d’ailleurs à les faire après ?).
Il y a ici plusieurs tableaux de « femmes fouillant dans un placard ». Motif très original, bien qu’apparemment banal. Il photographiait les scènes domestiques et les peignait ensuite. La position de la femme dans le tableau ci-dessous est assez curieuse, avec son côté arachnéen !
« La violence tragique d’une tache noire »
Il y a là de nombreuses xylographies. C’est du noir et blanc, mais surtout du très noir à côté du tout blanc, il n’y a que très rarement des valeurs, ce qui leur donne un côté tranchant et presque violent.
Le double féminin
Il s’agit ici surtout de relations entre femmes, « lourdes de sous-entendus » comme l’écrit Katia Poletti dans le catalogue de l’exposition.
Vallotton a d’ailleurs écrit, dans son Journal du 13 août 1919 :
« Il me semble que je peins pour des gens équilibrés, mais non dénués toutefois, – très à l’intérieur – d’un peu de vice inavoué. – J’aime d’ailleurs cet état qui m’est propre aussi. »
Érotisme glacé
Là on ne voit pas vraiment ce qu’il y a de glacé dans les représentations érotiques de Vallotton. En voici un exemple :
Opulence de la matière
A priori, il s’agit ici, toujours avec des nus, de représenter des femmes, en l’occurrence assez opulentes !
L’étrange « Retour de la mer », avec les yeux bleus hypnotiques du modèle qui montrent l’avidité, l’envie, peut être aussi la cruauté. Le titre peut paraître étrange et j’ai mis un certain temps à comprendre qu’il s’agissait d’une jeune femme bronzée qui revenait d’un après-midi à la plage !
Les organisateurs de l’expo ont le sens de l’humour aussi quand ils mettent, à côté d’une « étude de fesse » (dont l’une est ridée), « le jambon », sachant quand même que 34 ans séparent les deux oeuvres…
Mythologies modernes
Ici, les organisateurs ont mis des tableaux de Vallotton avec thèmes mythologiques connus et classiques ou totalement inventés. On n’est donc plus du tout dans le style Nabis.
Il me semble que Vallotton se moque ici des thèmes classiques et les « beautés » sont généralement des créatures assez éléphantesques ! Vallotton veut faire rire mais il échoue (à son époque) car le public n’a jamais ri devant un tableau. Il cherche au contraire des explications alambiquées et « sérieuses »… Pour que le public puisse rire, il lui faut plutôt du dessin…
C’est la guerre !
De toutes les toiles exposées ici, la plus émouvante, la plus forte, la plus parlante, est pour moi « Le Cimetière militaire de Châlons » avec ses milliers de tombes alignées sur un fond de campagne paisible et des corbillards qui arrivent encore, sur la droite (on est en 1917)…
Vous avez jusqu’au 20 janvier 2014 pour voir cette belle exposition.
Citation de Félix Vallotton : « La caractéristique chez moi est le désir d’exprimer par la forme, la silhouette, la ligne et les volumes; la couleur n’étant qu’adjuvant, destiné surtout à mettre en valeur l’objet principal. »