Giorgio de Chirico. La fabrique des rêves

Au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris – La peinture métaphysique

Actuellement et jusqu’au 24 mai 2009, se tient au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris une exposition rétrospective consacrée à Giorgio de Chirico.

Giorgo de Chirico est né en Grèce le 10 juillet 1888, de parents italiens.

Ses études, commencées à Athènes à l’Institut Polytechnique où il suit des cours de dessins et de peinture, se poursuivent aux Beaux-Arts de Munich.

Vers 1910, à Florence, après une longue maladie, il eut la révélation de ce qui allait devenir la peinture métaphysique. Trois ans plus tard, il écrit :

–  Tout ce qui m’entourait me paraissait en état de convalescence, alors j’eus l’étrange impression de regarder ces choses pour la première fois et la composition du tableau se révéla à mon regard intérieur (Son tableau intitulé : « L’énigme d’un après midi d’automne »).

En 1911, il rejoint à Paris son frère Alberto de Chirico dit Alberto Savinio à partir de 1914 et qui est écrivain, peintre et compositeur.

Il y reste jusqu’en 1914 et rencontre notamment Apollinaire et Picasso.

Photo retirée (droits d’auteur) : La Lassitude d’Orphée

Il réalise quelques portraits d’Apollinaire, dont un « portrait prémonitoire » puisqu’il peint une cible sur une tête à l’endroit exact où Apollinaire reçut plus tard une balle allemande…

Il se lie d’amitié avec Jean Cocteau qui l’aidera beaucoup.

Il peint de nombreuses toiles oniriques. Il est à l’avant-garde du surréalisme. A ce propos, on peut dire que, jeune homme arrivant d’Italie, il a été plus ou moins récupéré par des membres du futur milieu surréaliste.

Il y eut par la suite une querelle entre lui et les surréalistes depuis qu’il avait fait preuve de son expérience en matière de peinture et de son attachement à la technique picturale des « anciens ».

Il réalise une série de places d’Italie (place italiennes).

Il introduit le « mannequin » dans ses oeuvres (sorte de petit pantin articulé, en bois, servant de modèle aux peintres pour dessiner les silhouettes humaines).

Mannequin pour peintres

Puis, en 1919, il se révolte contre la peinture moderne en peignant comme les « anciens » ( !), notamment des ruines grecques et romaines.

Il joue (et il se joue) des perspectives et de paysages à la fois classiques et étranges.

Le Musée présente ici 170 peintures, sculptures, œuvres graphiques, ce qui constitue un exploit car les propriétaires des oeuvres de Chirico, Musées ou particuliers n’aiment pas s’en séparer (voir l’article du Monde du 7 février 2009).

Chirico maîtrise la technique de la peinture. Il a d’ailleurs écrit un « Petit traité de technique de peinture » dans lequel il fait sienne la phrase de Courbet « Savoir pour pouvoir », ce qui déplait assez aux « surréalistes » qui opposaient sans doute technique et spontanéité.

Il y a ici de très intéressants tableaux.

Par exemple un « intérieur métaphysique » de 1916, assez confiné, et où la seule ouverture sur l’extérieur est un tableau sur un chevalet.

Les toiles de Chirico représentent d’ailleurs souvent des intérieurs encombrés d’instruments d’architectes, des règles, des fils à plomb, des tés etc.

Cependant que ses extérieurs montrent la réalisation architecturale démente, nés dans sa « fabrique de rêves », avec tous ces instruments.

Il est à remarquer aussi, notamment dans sa série des « places d’Italie », les jeux d’ombre et de lumière. La partie de la place à la lumière, vue de près, est finalement assez sombre, par exemple un jaune de naples avec un ocre jaune et pourtant quand on s’en éloigne, on a vraiment l’impression d’une place en plein soleil. Cela vient du fait que Chirico accorde souvent une plus grande surface à l’ombre qu’à la lumière. Ainsi, la lumière vient de l’ombre. Ces ombres, très travaillées sur le plan de la couleur, sont souvent à dominantes rouges orangées, même si elles paraissent noires (voir « Mélancolie »).

Une « gare Montparnasse » peinte en 1914 est terrible par son austérité et sa tristesse, propre à certains endroits de Paris. Ce tableau a valu à Chirico d’être surnommé « peintre de gare » par Picasso…

En fait, ses tableaux sont pleins de souvenirs personnels. Il y en a tout une série avec des formes bizarres, intitulés « langage de l’enfant » par exemple ce sont en réalité les biscuits des boulangers de son enfance. Il s’en explique d’ailleurs dans le film projeté en début d’exposition.

Le tableau intitulé « Portrait de l’artiste avec sa mère » est assez freudien, et montre bien le côté fusionnel avec celle-ci, qui lui a donné sans doute beaucoup de sa sensibilité artistique. On y voit sa mère au premier plan, pas tout à fait de profil, avec dans le miroir situé en arrière plan, non pas son reflet, mais celui de son fils !

Un portrait formidable du Docteur Barnes (le grand collectionneur américain), à la fois réaliste et presque caricatural très fort, avec un côté bande dessinée (à propos de Barnes, il dit d’ailleurs, non sans malice, dans son interview qu’il ne connaissait rien à la peinture – comme presque tous les collectionneurs – ajoute-t-il !).

Un pan de mur entier est consacré à ses « copies de maîtres ». En 1923 notamment, il peint des copies de Raphaël et du Titien. Un « Venise » peint en 1966 rappelle évidemment Canaletto, avec toutefois des couleurs légèrement plus saturées.

Il dit dans son interview qu’il a copié toute sa vie, mais uniquement les grands maîtres.

Une série de gladiateurs occupe une presque une salle entière. Dans l’interview filmée, on lui demande pourquoi il a peint des gladiateurs et il répond que c’est parce qu’il avait toujours été fasciné par ces hommes au destin toujours tragique. Ce qui est intéressant dans cette dernière série, ce sont les têtes de ces hommes, littéralement des « gueules cassées ».

Photo retirée (droits d’auteur) : Autoportrait nu, 1945

On voit plusieurs portraits de lui en toréador ou en costume du XVIIème siècle !

Dans les dernières années, il a repris plusieurs de ses oeuvres et les a refaites, c’est pratiquement les mêmes (les places d’Italie par exemple en 1962).

On pourra voir également un curieux « Retour au château » de 1969, curieux parce qu’il ne lui ressemble guère, c’est un style différent : une forme presque humaine toute noire et avec des pics partout ( !) se rend vers un château en arrière plan, château très classique, ordinaire presque !

Certaines oeuvres ont une technique nettement impressionniste, notamment dans un « autoportrait nu » remarquable (et qu’il dit aimer beaucoup dans son interview).

Phrases de Chirico en exergue dans l’exposition :

–  Vie silencieuse, Écouter, Entendre, Apprendre à exprimer la voix cachée des choses, voilà le chemin et le but de l’art.

–  sur la terre il y a bien plus d’énigmes dans l’ombre d’un homme qui marche au soleil que dans toutes les religions passées, présentes et futures.

–  Voilà ce que sera l’artiste de l’avenir : quelqu’un qui renonce tous les jours à quelque chose, dont la personnalité devient tous les jours plus pure et plus innocente.

Chirico évoque différentes époques de sa peinture :

Époque de Paris (1911-1915) :

–  Pendant ce temps, je peignais des vues de villes, des compositions où l’élément architectural jouait un grand rôle et en même temps des natures mortes dans le style même. Toute ma peinture d’alors est un souvenir d’Italie. Mais dans les années suivantes, je fus tenté par une peinture plus riche de matière et de couleurs, âr une technique plus libre et maintenant, ayant progressé dans le difficile métier de peintre, je cherche à exprimer avec le plus de force possible, les images et les fantaisies qui hantent mon esprit.

Epoque d’Italie (1915-1925) :

–  Au commencement de cette époque, je peignais des natures mortes et des tableaux que j’appelais « Intérieurs métaphysiques ». C’était des vues de chambres avec des objets posés sur des tables, le plafond et le plancher jouaient le même rôle lyrique que dans un paysage jouent le ciel et le terrain.

L’interview de Giorgio de Chirico

A ne surtout pas manquer : juste avant l’entrée de l’exposition sur la gauche un film de Philippe Collin est projeté. C’est l’interview de Giorgio de Chirico, réalisée en 1971.

On y voit finalement un homme assez simple, ne cherchant pas des choses impossibles, il peint parce que c’est comme ça, il ne faut pas chercher de grandes explications, la réalité est souvent beaucoup plus simple que ce que pensent critiques et journalistes…

Il y dit notamment qu’il est beaucoup plus difficile de peindre que d’écrire.

Il raconte sa première à l’huile, alors qu’il était enfant. Il avait entendu parler de « peinture à l’huile » et il pensait que l’huile en question était de l’huile d’olive. C’est ainsi qu’il a peint une nature morte au citron qui n’a jamais séché !

Il dit qu’il est contre Freud et la psychanalyse puisqu’on essaye de vous faire dire ce que vous voulez justement cacher !

A propos des « bains mystérieux », ce qui est censé figurer l’eau est en fait un parquet très luisant car quand quelqu’un s’y reflète on a l’impression « qu’il va rentrer dedans » !

Tendez l’oreille (le son est assez mauvais).

Il faut aller voir cette exposition, on ne peut ignorer Chirico dans l’histoire de la peinture du XXème siècle.

 

Deux toiles intéressantes :

 

La Lassitude d’Orphée
Giorgio de Chirico, 1970 Huile sur toile 149 x 147 cm Fondation Giorgio et Isa de Chirico, Rome ©Adagp2009

 

Autoportrait nu, 1945
Huile sur toile 58 x 42 cm Fondation Giorgio et Isa de Chirico, Rome donation Isabelle Pakszwer de Chirico ©Adagp2009

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