Philip Roth, le misanthrope

Philip Roth n’aime personne et méprise presque tout le monde.

Il dit dans une interview de Mai 1999 menée par Pierre Assouline pour le magazine « Lire » :

« (…) plus je déteste, mieux je me porte. Ici, je déteste tout. Mais je ne pourrais pas vivre ailleurs. D’ailleurs, je n’ai pas quitté mon pays depuis dix ans. Je ne trouve même plus mon passeport ! ».

Et quand on lui demande quelle forme prend sa haine de l’Amérique il répond :

« Ce n’est pas comme vous. Je ne la hais pas à la manière de ces idiots d’Européens, d’Iraniens ou d’Irakiens. On ne peut pas haïr son pays comme des étrangers le feraient. Eux, ils ont une vision stéréotypée, ils détestent ce qu’ils croient être des réalités alors que ce ne sont que des clichés, le puritanisme, qui est un faux-semblant, ou l’injustice américaine, par exemple, qui est un mythe absurde. De toute façon, il n’y a pas une mais des Amériques, entre lesquelles je vois moins d’ordre que de chaos. »

Mais Philip Roth n’en est pas à un paradoxe près !

C’est un très grand écrivain, qui écrit presque toujours le même livre sous des formes différentes.

Il fait penser à Marcel Proust (qu’il cite souvent et qu’il admire). Il raconte son enfance de toutes les façons et avec une poésie étonnante.

Voici quelques livres de lui, par ordre chronologique :

Portnoy et son complexe (1970)

Portnoy et son complexe (1970)

C’est un de ses premiers livres à succès. Assez amusant, bien construit, bien écrit.

Il y a quelques dizaines d’années, ce livre aurait été classé dans le rayon pornographie (si tant est qu’un tel rayon existe !).

Mais là n’est pas la question , les moeurs évoluent… Reprenons le thème du livre.

On se rend compte au bout d’un moment qu’il est sur le divan d’un psychanalyste et qu’il raconte sa vie.

D’un égoïsme forcené, il refuse de se marier et, à 33 ans, il est toujours célibataire.

La raison en est que s’il se mariait, il se sentirait prisonnier d’une vie de famille qu’il ne souhaite pas et qu’il ne pourrait plus avoir autant d’aventures aussi facilement. Du coup, ça déboucherait sur un divorce, avec tous les malheurs et les angoisses que ça ne manquerait pas d’entraîner.

Sa mère le harcèle pour qu’il se marie mais il ne veut pas.

Le roman se termine par cette phrase désopilante du psychanalyste : « Et maintenant, si l’on parlait un peu de vous ? » !

Ma vie d’homme (1976)

Curieux livre. Torturé par sa femme, il ne sait pas pourquoi il l’a épousée. Et elle ne veut pas divorcer. Elle finit par mourir dans un accident de voiture.

C’est toujours la vie de Philip Roth vue sous des angles différents.

Page 102, il donne des conseils à l’usage des écrivains en herbe (il est professeur de « création littéraire » à temps partiel) dont celui-ci :

-  « Vous ne devez pas vous abandonner à votre imagination et appeler cela de la « fiction ». Fondez vos histoires sur ce que vous connaissez. Tenez vous en là. Autrement, vous avez tendance, certains d’entre vous, à vous égarer dans le rêve bucolique et le cauchemar, vers le grandiose et le romantique, et ce n’est pas bon. Essayez d’être précis, scrupuleux, mesurés… »

Opération Shylock, une confession. (1995)

 

Pour ceux qui croient « avoir tout compris à tout » page 629 :

-  « …c’est le préjugé propre à tout esprit superficiel, qui a besoin de croire que tout est organisé dès qu’il est confronté à des phénomènes chaotiques, c’est la vie intellectuelle de celui qui ne pense pas… »

Une confession, c’est la confession de Philip Roth, écrivain juif américain et qui revendique et parle de sa judéité, avec tout ce qu’elle a de complexe et de profond.

Tout part d’un voyage à Jérusalem où il rencontre son « double », une personne qui s’appelle Philip Roth et qui, de plus, est son sosie. Cet individu, qui donne des interviews à sa place, va jusqu’à rencontrer des hommes d’état pour développer son idée : le diasporisme, c’est à dire le retour des juifs dans leurs patries d’origine (l’Allemagne, la Pologne, etc.) avec son corollaire, l’abandon d’Israël, pays dans lequel force est de constater qu’ils ne peuvent vivre en paix.

Un roman intéressant, non dénué d’humour.

Le Théâtre de Sabbath (1995)

Mickey Sabbath est un personnage fictif (bien qu’il ressemble comme deux gouttes d’eau à Philip Roth).

À 63 ans, ancien marionnettiste, il ne peut plus pratiquer son métier, en raison d’une arthrose totalement invalidante.

Il vit aux crochets d’une jeune femme alcoolique et a une aventure avec une femme mariée qui fini par mourir d’un cancer (il y a beaucoup de femmes qui meurent dans les livres de Philip Roth !).

Il se fâche avec ses amis et envisage le suicide. Il réserve même pour cela une tombe au cimetière où ses parents sont enterrés.

Très rabelaisien et en même temps assez désespéré, si vous pensiez avoir tout vu avec Portnoy, celui là le dépasse peut-être sur le plan de la provocation…

Quelques phrases « soft » :

-  « Il faut vouer sa vie à la baise de la même manière que le moine voue sa vie à Dieu. »

-  « (…) C’est admirable. Ça ne me déplairait pas d’avoir quelqu’un comme Jésus vers qui me tourner. Il pourrait peut-être m’avoir du Voltarène sans ordonnance. »

Il cite un article dans une revue médicale spécialisée :

-  « Nous proposons de classer le bonheur parmi les affections d’ordre psychiatrique et de l’inclure dans les éditions à venir des grands manuels de diagnostic sous ce nouveau nom : désordre affectif majeur de type agréable. »

-  « (…) dans son coin, la Mort a commencé ses exercices d’échauffement et un jour, bientôt, elle traversera le ring d’un bond pour lui tomber dessus, (…) parce que même si Michelle est à son maximum de poids, avec ses soixante, soixante-cinq kilos à la pesée, la Mort fait deux tonnes. »

Pastorale américaine (1999)

C’est ici l’histoire d’une famille juive américaine qui a fait fortune dans l’industrie du gant.

Tout se passerait donc parfaitement si la fille du jeune couple ne devenait pas subitement, à 16 ans, une terroriste, adepte des mouvement d’extrême gauche de l’Amérique de cette époque (contre la guerre du Vietnam etc.). Elle pose tout simplement une bombe dans le magasin qui fait office de bureau de poste et tue un médecin qui passait par là. On pense à Patricia Hearst…

Un livre très fort et qui nous montre un père désespéré de n’avoir pas su élever sa fille, ou plutôt de la voir quitter brutalement l’enfance en lui démontrant à lui, le père, qu’il n’avait rien compris.

Une belle phrase, à propos du père :

-  « Apparemment il ne comprit, n’admit jamais, même dans un moment de lassitude, qu’avoir des limites ne le rendrait pas nécessairement odieux, qu’il n’était pas, lui, une bâtisse de cent soixante-dix ans d’âge, charpentée par des poutres de chêne, mais qu’il était fait d’un bois plus transitoire, plus mystérieux. »

Complot contre l’Amérique, Gallimard (2006)

C’est le petit dernier et c’est une fiction historique.

Lindbergh est élu président des États-Unis à la place de Roosevelt.

Il a des tendances antisémites et a de bonnes relations avec le pouvoir nazi (il est décoré par Göring en 1938 ).

Et ce roman se déroule avec pour toile de fond une histoire familiale où les souvenirs d’enfance de Philip Roth ne sont pas absents. C’est très touchant d’ailleurs de voir comment le petit garçon de 9 ans qu’il était interprète le monde qui l’entoure. Et c’est, comme toujours, très bien écrit.

Ce qui dérange un peu, c’est l’idée que Lindbergh soit élu et persécute les Juifs. On n’y croit pas. Parce que c’est Lindbergh peut-être… « Il aurait pu … » Oui, mais… Ce mélange de réalité et de fiction est un peu gênant, d’ailleurs l’auteur éprouve le besoin de nous donner, en fin d’ouvrage, un « post-scriptum », une chronologie véritable des personnages figurant dans ce livre.

On a l’impression que Philip Roth a voulu se faire peur. Où bien qu’il a voulu rajouter encore un peu de haine en lui.

Il y a pourtant suffisamment de raisons « réelles » d’avoir peur à cette époque, sans en rajouter avec Lindbergh…

On ne peut pas dire que ce dernier livre soit le meilleur de Philip Roth, tant s’en faut !

Trop d’imagination peut être…

 

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