Mélancolie. Génie et folie en Occident

Une exposition ancienne puisqu’elle se terminait en janvier 2006 !

Dès l’entrée de cette exposition, on nous rappelle (ou apprend ?) que la mélancolie ou dépression était appelée « acédie », apanage des génies selon Cicéron.

On nous rappelle également, dans la deuxième salle, quels sont les 7 vices, à savoir :

– l’orgueil (ou vaine gloire)
–  l’envie
–  la colère
–  l’acédie (c’est à dire oisiveté, paresse du coeur, ennui, mélancolie)
–  l’avarice
–  la gourmandise (fureur du ventre, gloutonnerie)
–  la luxure

Amusant de voir l’acédie (c’est à dire la dépression) considérée comme un vice !

J’ai remarqué dans cette salle un magnifique petit Jérome Bosch « la tentation de Saint Antoine ».

Également, une très belle toile, « Les enfers » de François de Nomé (1622) dans les tons sépia, or et gris voir l’image du musée de Besançon, sachant que cette image est trop orangée par rapport à la réalité.

Quelques petites phrases mises en exergue sur les murs :

« Le démon de l’acédie qui est appelé démon de midi est le plus pesant de tous. Il fait que le soleil paraît lent à se mouvoir ou immobile et que le jour semble avoir 50 heures. Il lui inspire de l’aversion pour le lieu où il est, pour son état de lui même, pour le travail manuel. » Evagre le Pontique « L’acédie est une torpeur de l’esprit qui empêche de commencer à faire le bien… » Saint Thomas d’Aquin

La 3ème salle « l’âge d’or de la mélancolie », la gravure, nous présente plusieurs gravures de Durer et une très belle fresque de Donato Bramante « Héraclite et Démocrite »1487.

Magnifique Cranach l’Ancien « la Mélancolie » avec des tons rouges et bleus splendides.

La Mélancolie
Cranach l’Ancien 1532 Huile sur bois, 76,5 x 56 cm Musée d’Unterlinden, Colmar © O. Zimmermann

La salle suivante est intitulée « Saturne, astre de la mélancolie ». En exergue, une phrase dans laquelle on peut lire, à propos de Saturne « Chronos, dieu du temps », ce qui provient d’une confusion entre Cronos (sans « h ») ou Kronos équivalent grec de Saturne et qui est en fait le dieu des semailles, des graines, de l’agriculture, et chronos (étymologie signifiant le temps comme dans chronomètre) qui n’est le dieu de rien du tout !

Très beau « double portrait » attribué à Giorgione.

Étonnant « buste d’homme accoudé » en bois polychrome du début du XVème siècle :

Buste d’homme accoudé
Maître Strasbourgeois Dernier quart du XVéme siècle Tilleul polychrome, 35,5 x 26 x 22,5 cm Musée de l’Oeuvre Notre-Dame, Strasbourg © A. Plisson

La salle suivante d’un vert très sombre mettant bien en valeur les toiles et objets se veut, comme indiqué, un « musée de la mélancolie » ; nous y voyons de nombreuses pierres supposées guérir la mélancolie, un herbier, des symboles sur la mesure du temps qui passe (sabliers, etc…).

Elle comporte des tableaux et gravures, dont le célèbre « l’Automne » de Guiseppe Arcimboldo que vous retrouverez ici.

Plus loin, nous verrons la célèbre gravure de Durer « la chauve souris » au dessus d’un squelette d’une grande chauve souris, à côté d’une autre empaillée, cet animal étant supposé représenter la mélancolie…

Chauve-souris
Attribué à Albrecht Dürer 1522 Aquarelle et encre noire sur papier, 13,2 x 20,3 cm Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie, Besançon

Un plâtre de Giacometti se trouve au centre de la pièce. C’est un beau « polyèdre irrégulier à douze facettes ».

La salle suivante est intitulée « musique et mélancolie ».

Il y est écrit « Dès l’antiquité, des philosophes, naturalistes et médecins comme Théophraste, recommandent l’usage de la musique dans le traitement des maladies de l’âme ». Quelques toiles intéressantes dont un Valentin de Boulogne « Musiciens et soldats » un clair obscur très expressif et d’une technique parfaite.

Musiciens et soldats
Valentin de Boulogne Huile sur toile, 155 x 200 cm. Vers 1626 Musée des Beaux-Arts, Strasbourg © M.Bertola

Un Domenico Fetti « la mélancolie », représente une jeune femme agenouillée devant une tête de mort posée sur une table et qu’elle tient dans les mains.

La Mélancolie
Domenico Fetti 1589-1623 ? Huile sur toile, 172,5 x 128,2 cm Musée du Louvre, département des Peintures, Paris © RMN - Daniel Arnaudet

Juste avant le grand escalier du musée qui nous mènera à l’étage du dessus, le visiteur est appelé à méditer sur de nombreuses phrases.

On y trouve aussi quelques définitions importantes :

Acédie : mal défini au IVème-Vème siècle, par les moines chrétiens comme une irritation et une anxiété du coeur. C’est un pêché capital dont l’église se préoccupe jusqu’à la fin du moyen-âge.
Dépression : Le mot prend un sens psychologique dans la seconde moitié du XIXème siècle. Dans les années 1950, il devient courant pour désigner différentes formes de tristesse et d’abattement que l’on soigne par la psychothérapie et de plus en plus par les antidépresseurs inventés en 1957.
–  Mélancolie (du grec mélancholia, bile noire ou humeur noire ; le terme désigne dans l’antiquité puis dans la médecine médiévale, une maladie de l’esprit caractérisée par la tristesse et la peur causée par les dérèglements de l’humeur noire. La psychiatrie naissante la redéfinie au XIXème siècle comme une monomanie puis l’identifie à la fin du siècle à la psychose maniaco-dépressive.
–  Neurasthénie : maladie définie par les psychiatres dans les années 1880 comme un épuisement nerveux.
Névrose : apparu à la fin du XVIIIème siècle, le mot recouvre d’abord tous les troubles nerveux sans origine organique connue. Dans le vocabulaire freudien, il désigne une maladie nerveuse dont les symptomes traduisent un conflit psychique refoulé.
Psychose : dans le vocabulaire psychiatrique qui s’élabore au XIXème siècle, le terme remplace celui de folie, il désigne aujourd’hui la schizophrénie, la paranoïa et la psychose maniaco-dépressive.
Spleen (rate en anglais, le siège de la bile noire) : Le terme se diffuse au XIXème siècle pour désigner la mélancolie, l’ennui profond (taedium vitae, littéralement dégoût de la vie) l’expression se répand au XIXème siècle sous la plume des écrivains.

 

L’exposition continue au premier étage par une enfilade de salles.

Dans la première un beau « Frans Pourbus l’Ancien » intitulé « la Mélancolie, dont on ne peut malheureusement s’approcher en raison d’une vitrine qui se trouve dessous…

Un très beau Philippe de Champaigne « vanité ou Allégorie de la vie humaine » tête de mort sur une plaque de marbre, avec d’un côté une fleur et de l’autre un sablier

Vanité, ou Allégorie de la vie humaine
Philippe de Champaigne - Première moitié du XVIIème siècle Huile sur bois, 28,4 x 37,4 cm Musée de Tessé, Le Mans

Il est curieux de constater que dans le thème de la mélancolie, en peinture, la plupart des personnages se tiennent la tête penchée, la main sur la joue, comme dans ce très beau Furini :

Mélancolie
Francesco Furini - Whitney Museum of American Art, New York. 50th Anniversary Gift of Mr. And Mrs. Albert Hackett in honor of Edith and Llyod Goodrich © Robert E. Mates Studio, N.J.

 

La salle suivante intitulée « les lumières et leurs ombres » nous présente des peintures du XVIIIème siècle dont l’impitoyable « les Vieilles » de Goya :

Le Temps dit Les Vieilles
Francisco de Goya y Lucientes 1808-1812 Huile sur toile, 181 x 125 cm Palais des Beaux-Arts, Lille © RMN - P. Bernard

Nouvelle salle « la mort de Dieu, le romantisme »

Un magnifique petit Corot « la Mélancolie », représente une femme assise en robe blanche, la tête appuyée sur une main (encore et toujours !)

Plus loin, un grand et très beau tableau « le moine au bord de la mer » de Gaspar-David Friedrich qui sert d’affiche à cette exposition.

Le moine devant la mer
Caspar David Friedrich 1808-1810 Huile sur toile, 110 x 171,5 cm Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie, Berlin © Jörg P. Anders

Salle suivante : « la naturalisation de la mélancolie », c’est à dire la mélancolie sur un plan plus médical.

Plusieurs tableaux dont le fameux « Docteur Gachet » de Van Gogh (dont la tête repose également sur la main) et qui était, paraît-il, légèrement dépressif…

Plus loin, « le penseur » de Thomas Eakins, peintre américain trop peu connu en France, assez classique dans sa forme.

L’insoutenable « l’homme et sa douleur » d’Antonin Artaud…

Salle suivante sous le signe de « l’immortalité mélancolique ».

Un très beau Géricault, représentant une statue de la mélancolie au milieu d’une pelouse vert olive foncé entre des murs sombres.

Une impressionnante « sculpture » de Ron Mueck, artiste australien, intitulée « gros homme », faite en résine de polyester pigmentée sur fibre de verre d’un réalisme étonnant. L’homme est énorme, complètement nu. On a tout simplement l’impression qu’il est vivant… Cette oeuvre date de 2000 (regardez dans Google – recherche images – vous y verrez d’autres oeuvres tout aussi stupéfiantes de réalisme.

Untitled (Big Man)
Ron Mueck 2000 Résine de polyester pigmentée sur fibre de verre, 203,8 x 120,7 x 204,5 cm Hirshborn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, Washington. © Lee Stalsworth

 

Nous finirons par un très beau Zoran Music « le fauteuil gris, très belle variation dans les gris.

Poltrona grigia (Le fauteuil gris)
Zoran Music 1998 Huile sur toile, 162 x 130 cm Collection particulière, avec l’aimable autorisation de la galerie Jan Krugier, Ditesheim & Cie, Genève

Belle exposition qui mérite d’être vue (et revue !).

Jean-Pierre Duvaleix : site personnel

Pour marque-pages : Permaliens.

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