Eugène Boudin à Jacquemart-André

Exposition au musée Jacquemart-André à Paris du 22 mars au 22 juillet 2013

« L’impressionnisme a compté des maîtres plus puissants, mais non de plus délicats. Sa palette abonde en tons gris, vaporeux, d’une transparence et d’une pureté exquise. Roger Marx {Revue encyclopédique) »Plage de Trouville - Eau forte d'Eugène Boudin

« Ne jamais ternir la couleur, c’est une fleur. Si l’on y passe et repasse le doigt, il n’y a plus de velouté, plus de charme, plus de coquetterie. Et puis, ces tons ternes et plombés, il faut les bannir à tout jamais. Eugène Boudin »

Tout l’art d’Eugène Boudin est résumé dans ces deux phrases. L’une du journaliste Roger Marx et l’autre de Boudin lui-même. Il fait ses croquis avec soin, mais aussi avec légèreté. Les citations ci-dessus sont tirées du livre « Eugène Boudin, sa vie et son oeuvre » de Gustave Cahen, dont nous avons tiré quelques extraits plus bas.

Pas de grands messages, pas de « révolution dans l’art », non; rien que le plaisir de contempler la beauté de la nature, même si ça n’est plus guère à la mode !

C’est comme si Boudin nous disait au travers de chacune de ses oeuvres : regardez ce que j’ai vu et ce que j’ai admiré, regardez ce que c’est beau ! Et il faut bien entendu avoir toujours cette idée en tête en parcourant cette exposition.

Première impression : les salles semblent plus vastes que d’habitude. Peut être la scénographie d’Hubert le Gall y est-elle pour quelque chose. Ou alors c’est la sensation d’espace créée  par les toiles de Boudin…

Les tableaux viennent des quatre coins du monde, l’Angleterre, l’Espagne, le Canada, le Mexique, les États-Unis, et c’est par conséquent une occasion unique de les voir !

On y verra une soixantaine de toiles de ce grand peintre modeste, qu’on peut considérer comme l’un des précurseurs  de l’impressionnisme, avec aussi Jongkind, un de ses amis, et dans une moindre mesure, Corot.

Boudin était très sensible et ça se voit bien à travers ses toiles équilibrées et calmes, sans grands messages, qui ne montrent que le bonheur de scènes douces et belles. Il suffit de se laisser bercer par cette atmosphère de paix et de tranquillité…

Sa technique est paisible. Il lui arrive de faire de très petits tableaux. Mais même ses plus grands tableaux restent de taille modeste.

Ci-dessous « Venise. Le quai des Esclavons le soir, la Douane et la Salute »  :

Venise Eugène Boudin

Eugène Boudin Venise. Le quai des Esclavons le soir, la Douane et la Salute 1895 Huile sur toile 46 x 65 cm Québec, Musée national des beaux-arts du Québec, Don de la succession Maurice Duplessis. Restauration effectuée par le Centre de conservation du Québec. © MNBAQ, photo : Patrick Altman

dont on peut voir ce détail qui, en soit, pourrait tout aussi bien faire un petit tableau !

Détail : Venise Eugène Boudin

Détail : Venise Eugène Boudin

 

Corot, appelait Boudin le « roi des ciels », et Monet, son élève, l’appellera ainsi toute sa vie. Il a d’ailleurs dans sa jeunesse, travaillé pour Troyon (dont il faisait notamment les ciels).

Il peint avec Courbet. Il est ami de Millet qu’il a hébergé un temps. Tous les grands peintres l’admirent, mais la vie de peintre est malgré tout très dure, même à cette époque ! Il attendra très longtemps avant d’être reconnu.

« Eugène Boudin, sa vie et son oeuvre » de Gustave Cahen est un livre sur Boudin qui peut éclairer bien des points qui complèteront cette exposition. En voici quelques extraits :

–  » Dès l’âge de quatorze ans, la vocation d’Eugène se révéla. C’est en 1836, en effet, qu’il commença à dessiner. Déjà il s’était essayé à reproduire « au jus de chique  » des barques, des bricks et des trois-mâts. »

– « C’est même l’extraordinaire impression d’immensité de cette plaine dans un croqueton de 27/20 qui frappe surtout le spectateur, plus même que le faire déjà libre et bien personnel de l’artiste enfant. » (un personnage qui a vu ses dessins quand il avait 14 ans !)

Ce qu’a dit Boudin à propos d’un conseil de Millet qui essayait de le dissuader de pratiquer le métier de peintre, aléatoire, peu payé, etc. :

– « Vous devez bien penser que je n’en tins pas compte : je quittai un métier solide (papetier) pour prendre le pinceau »

La ville du Havre lui a payé des études de peinture à Paris. Il revient au Havre après 3 ans et dit à ce propos :

– « Ma pension avait pris fin : La ville du Havre ne me devait plus rien, mais elle avait eu une déception. On s’imaginait que j’allais revenir, après trois années d’entretien, un phénix de l’art ; j étais revenu, plus perplexe que jamais, sollicité par les célèbres d’alors, allant de Rousseau qui nous séduisait, à Corot qui commençait à nous montrer une autre voie. C’est ainsi que s’écoulent les plus précieuses années de ceux qui, comme moi et tant d’autres, tâtent le terrain et s’essaient durant des années à chercher ce qui peut plaire au public, souverain dispensateur de la renommée. On cherche sa voie et l’on ne parvient, en faisant les plus grands efforts, qu’à gâter ce que l’on avait en soi d’original. Combien n’en voyons-nous pas autour de nous de ces fourvoyés, dignes d’un meilleur sort ! »

 Comment il rencontra Monet :

– Dans quelles circonstances Claude Monet avait-il rencontré Boudin? Voici ce qu’a raconté, à ce sujet,  Hugues Le Roux (journaliste.):
« Un jour, chez un encadreur de la rue de Paris, le vieux peintre hâvrais Boudin — entre parenthèse, Boudin n’était pas encore vieux et il a toujours été honfleurais, mais passons sur ces petits détails — le peintre Boudin fit la rencontre d’un jeune garçon qui apportait des caricatures.
Le vieux maître (qui n’était encore ni vieux ni maître) y jeta les yeux. Il vit que cet enfant cédait au désir de fixer, en l’exagérant, le caractère des visages et non à l’instinct mauvais de les tourner en ridicule. Il demanda :
— Comment t’appelles-tu?
— Claude Monet.
— Aimes-tu la peinture ? Regarde.
C’était dans une manière claire, pour le temps révolutionnaire, tous ces paysages du port et de la basse Seine, que vous connaissez.
L’enfant dit :
-— C’est très beau.
Mais il n’était pas convaincu. En revanche, la première fois qu’il vit travailler Boudin il comprit et fut enthousiasmé. Le maître et l’élève avaient été s’asseoir dans le grand vent des plateaux, entre Rouelles et Frileuse. Ils avaient installé leurs chevalets côte à côte, et Boudin avait dit :
— Voilà ton modèle, peins.
Le petit Monet regardait surtout par dessus l’épaule de son maître et il voyait s’arrêter, dans sa toile, non seulement les arbres et leur frémissement, mais le vent lui même avec sa clameur, ce grand bruit qu’il fait lorsqu’il arrive enfin au bord des falaises et prend son vol sur la mer.

La déprime à 38 ans … :

– Le 27 janvier 1862, il écrivait à son ami Gustave Mathieu une lettre désespérée :  » Je vous avoue qu’ici je ne trouve plus à vivre — littéralement ; il faut bien aller chercher sa vie quelque part. Aussi, je vais m’enfoncer dans quelque coin de la province pour tâcher de trouver l’emploi de mes mains, car je suis las de solliciter pour qu’on m’achète, et à quel prix! d’informes peintures que l’on est obligé de faire au goût de gens qui n’y connaissent rien. Notre métier est décidément très dur. »

La vie dure :

– Au lendemain de sa mort, l’Echo Honfleurais a raconté qu’Eugène Boudin connut là des jours sans pain, et qu’une nuit d’hiver, mourant de froid, il brûla ses meubles. Mais il reprend courage. Peut-être est-il permis d’attribuer cette recrudescence d’énergie à la rencontre qui se produisit à ce moment entre lui et Jongkind, dont l’exemple était bien fait pour le réconforter et lui donner un nouvel élan.

Jongkind, également initiateur de l’impressionnisme, plus miséreux encore que Boudin…

– Nous avons vu qu’en 1856 Jongkind passait pour fou et était tellement malheureux que le peintre Cals avait dû faire une souscription en sa faveur parmi les artistes.

Une autre exposition, en 1883

Quant à une autre exposition ayant eu lieu en 1883, voici ce qu’en dit, le 15 février 1883, le critique d’art Gustave Geffroy, décrivant Boudin peignant sur une plage :

–  « Puis il arrive avec son attirail de peintre marin et paysagiste, sur une plage où Paris est en villégiature. Il s’installe tranquillement au milieu du high-life et reproduit les costumes à la dernière mode, s’enlevant en taches vives sur un ciel gris et une mer glauque, il profile une parisienne sur un cap écroulé »

cette phrase faisant penser au tableau ci-dessous, présent à l’exposition actuelle, une véritable merveille dans les gris, les roses, les bleus et les blancs !

Un concert au casino de Deauville

Eugène Boudin – « Concert au casino de Deauville » 1865 Huile sur toile 41,7 x 73 cm
Washington, National Gallery of Art, Collection of Mr. And Mrs. Paul Mellon © Courtesy National Gallery of Art, Washington

 

Donc le musée Jacquemart-André à Paris, nous donne là une occasion unique de voir toutes ces toiles magnifiques. Vous avez jusqu’au 22 juillet 2013.

                                                     BIOGRAPHIE D’EUGÈNE BOUDIN (source : Musée Jacquemart-André)

La vie de Boudin nous est connue de manière extrêmement détaillée, grâce à sa correspondance et à ses journaux intimes. Seules les principales étapes de sa carrière sont mentionnées ici.

1824
Naissance d’Eugène Boudin à Honfleur, le 12 juillet.
1835
La famille Boudin s’installe 51 Grand Quai au Havre. Eugène devient commis, puis papetier.
1846
Boudin décide de se consacrer à la peinture.
1851
Le conseil municipal du Havre lui accorde une bourse afin qu’il aille étudier la peinture à Paris pendant trois ans.
1854
Il s’installe à la ferme Saint-Siméon, à Honfleur. Début des années de doute et de misère.
1858
Boudin convainc Monet, de seize ans son cadet, de venir travailler avec lui sur nature, aux environs du Havre.
1859
Il expose pour la première fois au Salon. Rencontre Baudelaire au début de l’année, et Courbet en juin.
1862
Au cours de l’été, il peint ses premières scènes de plages. A l’automne, il fait la connaissance de Jongkind.
1863
Il épouse au Havre Marie-Anne Guédès. Boudin inaugure une organisation à laquelle il restera fidèle toute sa vie : il passe l’hiver à Paris et, aux beaux jours, il se rend sur le littoral (en Normandie d’abord).
1869
Il commence à recevoir des commandes de peintures de marines, ce qui l’amène à délaisser les scènes de plages.
1870
En décembre, il est appelé à Bruxelles par le marchand Gauchez.
1871
Il travaille à Bruxelles et Anvers ; désormais, il voyagera pour « varier ses produits ». Au cours des années suivantes, il se rendra en Bretagne, à Bordeaux, à Berck et aux Pays-Bas.
1874
Il présente 2 peintures, 6 pastels et 2 aquarelles à l’exposition de la « Société Coopérative Anonyme des Artistes Peintres, Sculpteurs, Graveurs, etc. » (couramment appelée exposition des Impressionnistes), chez Nadar, 35 bd des Capucines à Paris.
1875
Début de la crise du marché de l’art, qui se poursuivra jusqu’au début des années 1880. Boudin ne vend pratiquement plus. Par économie, il limite ses voyages à des séjours en Normandie.
1881
Durand-Ruel lui achète son stock. Il reçoit la médaille de 3e classe pour son tableau exposé au Salon, « La Meuse, à Rotterdam ». Reprise des déplacements fréquents.
1883
Inauguration des nouveaux locaux de Durand-Ruel avec une importante exposition d’oeuvres de Boudin ; les critiques favorables à l’avant-garde se montrent élogieux. Succès croissant et début de reconnaissance. Il reçoit la médaille de 2e classe pour ses deux tableaux exposés au Salon, « L’Entrée » et « La Sortie ».
1884
L’Etat achète « Marée basse », l’un des deux tableaux du Salon, et le dépose au musée de Saint-Lô. Boudin prend possession de la maison qu’il vient de se faire construire, rue Oliffe, à Deauville.
1886
L’Etat achète « Un grain », l’un des deux tableaux du Salon, et le dépose au musée de Morlaix.
1888
L’Etat achète « Une corvette Russe dans le bassin de l’Eure ; – Le Havre », l’un des deux tableaux exposés au Salon.
1889
Mort de Marie-Anne Boudin ; le peintre est désemparé. Invité par Antonin Proust à participer à l’exposition universelle, il recevra une médaille d’or.
1890
Il délaisse le Salon des artistes français, où il exposait chaque année depuis 1861, pour rejoindre la Société nationale des Beaux-Arts, dissidente.
1892
Boudin découvre la Côte d’Azur. Par décret rendu sur le rapport du ministre de l’Instruction Publique, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur.
1895
Il se rend à Venise en passant par Turin, Gênes et Florence. Il en reviendra par la Suisse, où il compte rester « trois ou quatre semaines ».
1897
Il expose pour la dernière fois au Salon de la Société nationale des beaux-arts. Périple en Bretagne. Il travaille également pour la dernière fois à Honfleur.
1898
Il passe le printemps dans le Midi. Très affaibli – il ne sustente plus que de lait – il parvient à se rendre à Deauville où il meurt le 8 août. Il est inhumé le 12 août au cimetière Saint-Vincent de Montmartre.

 

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