Gauguin en Polynésie ou l’enfer sur terre… Lettres à Monfreid

 

Tahiti ou l’enfer sur terre.

Les lettres de Gauguin à son meilleur ami, Georges-Daniel de Monfreid ( peintre lui même et père de l’aventurier Henry de Monfreid) et en qui il aura toute sa vie une confiance indéfectible et totale, sont passionnantes.

Avant de partir définitivement pour un monde meilleur en 1903, Gauguin fera une étape en Polynésie dont il aime l’image qu’il s’en fait, mais en déteste la réalité.

On verra, dans ce livre, que Gauguin souffre d’un eczéma aux pieds, ce qui le fait beaucoup souffrir. Il a aussi un diabète, ainsi qu’une syphilis…

Il peint quand sa santé le lui permet, un Tahiti idéal, un Tahiti ou règnent justement le bonheur et la belle vie !

Dans cette correspondance, il est aussi beaucoup question d’argent. On sent que l’ex agent de change qu’il était se fait beaucoup de soucis de ne pas vendre assez de tableaux, ce qui n’enlève rien d’ailleurs à son talent. Et ses principaux revenus sont tirés de ces ventes, même s’il lui arrive d’exercer quelques « petits boulots » pour se dépanner.

D’ailleurs, les marchands de tableaux semblent avoir profité de son éloignement. Être au bout du monde ne favorisait pas le commerce. On lui payait ses tableaux avec beaucoup de retard (quand on les lui payait…), et on baissait les prix.

On a souvent dit par ailleurs que Gauguin peignait sur de la toile brute par gout mais c’était en fait par nécessité. De même qu’il ne mettait que peu de peinture, toujours pour des questions financières et non esthétiques.

 

Il écrit  à Monfreid :   » Vous dites : « Pourquoi ne peignez-vous pas abondamment, de façon à faire une surface, une matière plus riche ?… » Je ne dis pas non et j’en ai bien envie quelquefois ; mais cela m’est impossible de plus en plus, ayant à compter avec la dépense de couleurs ; aussi je n’en ai presque plus malgré l’économie que j’en fais et je ne puis vous en demander d’autres avant de savoir quand mon existence matérielle sera assurée.  » (page 82)

Paul Gauguin « I Raro te Oviri » Sous les pandanus 1891 – Dallas museum

Quelques passages significatifs :

  • Déception à Tahiti

    – Quelle pourriture dans nos colonies (page 85)

    –  Folle mais triste et méchante aventure que mon voyage à Tahiti (10 Septembre 1897)

 

Tentative de suicide :

  • Je suis Parti me cacher dans la montagne où mon cadavre aurait été dévoré par les fourmis. Je n’avais pas de revolver, mais j’avais de l’arsenic que j’avais thésaurisé durant ma maladie d’eczéma : est-ce la dose qui était trop forte, ou bien le fait des vomissements qui ont annulé l’action du poison en le rejetant, je ne sais. Enfin, après une nuit de terribles souffrances, je suis rentré au logis. (février 98)

 

Technique de peinture

Il vaut mieux une toile inachevée… :

  • J’ai voulu avant de mourir peindre une grande toile que j’avais en tête, et durant tout le mois j’ai travaillé jour et nuit dans une fièvre inouïe. Dame, ce n’est pas une toile faite comme un Puvis de Chavannes, études d’après nature, puis carton préparatoire, etc. Tout cela est fait de chic, du bout de la brosse, sur une toile à sacs pleine de nœuds et rugosités, aussi l’aspect en est terriblement fruste. On dira que c’est lâché… pas fini. (février 98)
  • Les salons ont amené les tableaux finis et par opposition on est quelquefois heureux de trouver dans un musée une toile de maître inachevée, comme les Corot — les Corot surtout, esquissés avec tant de charme.(page 164)

 

Rapidité dans l’exécution et « travail en pensée » :

  • Du reste, quand je suis dans les conditions ordinaires et que j’ai de l’entraînement, j’abats très vite de la besogne. Puis en ce moment, étendu sur le lit, je travaille en pensée, et arrivé à un certain moment propice, tout cela se concentre et l’exécution est rapide.

 

Retour à la simplicité, au minimalisme

  • Paris n’est pas nécessaire à l’art autant que la jeunesse semble le supposer : « Se tenir au courant » dit Pissarro — Bien dangereux pour les demi-personnalités — Pendant 50 ans les jardiniers font des dahlias doubles, puis un beau jour reviennent aux dahlias simples

 

Il évoque aussi les cours qu’il donnait et les conseils à ses élèves à Montparnasse :

« Pendant le peu de temps où je corrigeais à l’atelier Montparnasse, je leur disais :  Ne vous attendez pas à ce que je vous corrige directement si votre bras est trop long ou trop court, (qui le sait du reste) mais des fautes d’art, de mauvais goût, etc… vous serez toujours à même d’arriver à la précision si vous y tenez ; le métier vient tout seul, malgré soi, avec l’exercice, et d’autant plus facilement qu’on pense à autre chose que le métier » (page 165)

Les correspondances vont jusqu’au mois d’avril 1903 (il meurt le 8 mai 1903).


Il écrit, dans sa dernière lettre : « Il sera dit toute ma vie que je suis condamné à tomber, me relever, retomber, etc… Toute mon ancienne énergie s’en va chaque jour… »

Et de fait, le 8 mai 1903, il meurt, solitaire, dans sa triste « Maison du jouir »…

 

 

Ce livre, vous pouvez vous le procurer gratuitement en format pdf ou epub sur le site de Gallica :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6572278m/f17.image

Ne pas oublier si possible d’aller voir la magnifique exposition qui se termine le 22 janvier 2018 « Gauguin l’alchimiste » au Grand Palais (lire l’article du Journal des peintres ICI)

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