La collection La Caze au Musée du Louvre

Exposition au Musée du Louvre (du 26 avril au 9 juillet 2007)

1869 : Watteau, Chardin… entrent au Louvre

Le musée du Louvre célèbre l’un de ses plus généreux donateurs : le docteur Louis La Caze (1798- 1869). Sa collection, léguée à l’État en 1869, est en effet le plus bel ensemble de peintures anciennes (cinq cent quatre-vingt-trois peintures) jamais reçu par le musée. À partir de 1872, en accord avec les souhaits exprimés par le donateur, le musée du Louvre déposa un grand nombre des tableaux dans les musées en régions (texte du Musée du Louvre).

Le testament :

L’origine de cette exposition est dans le testament du Docteur La Caze (exposé ici), célébrant ainsi l’un de ses plus grands donateurs.

« Je laisse au Musée de Paris, toute ma collection de tableaux telle qu’elle sera à mon décès. J’ai l’espoir qu’on voudra bien leur consacrer une salle. S’il en est que le Musée ne veuille pas accepter, je le prie de les distribuer à plusieurs musées de province. J’excepte bien entendu les portraits de ma famille et les autres tableaux que j’ai faits ; mes héritiers en feront ce qu’ils voudront. »

Cette exposition nous montre « seulement » une cinquantaine d’oeuvres dans une belle salle aux murs tendus de rouge, les toiles étant accrochées comme au XIXème siècle (les unes au dessus des autres).

Portrait de femme, 1631
Thomas de Keyser (1596-1667), Huile sur bois, 1,37m x 1,08m Tarbes, musée Massey, dépôt du musée du Louvre (M.I. 1301) © Musée Massey de Tarbes

Comment La Caze a-t-il acquis tous ces chef-d’oeuvres ?

Peintre lui-même (voir son autoportrait en logo de l’article : huile sur toile, H. 0,61 ; L. 0,50 m., Paris, musée du Louvre (M.I. 1136) © RMN/ Franc Raux) il fut l’élève de Girodet dans l’atelier duquel il rencontra bon nombre de peintres contemporains. Mais on en était alors à la peinture d’histoire moderne, la peinture davidienne et La Caze n’avait pas beaucoup d’attirance pour ce genre.

La Caze, constitua lentement sa collection, sa première acquisition étant un Chardin acheté sur les quais en 1825 pour la somme de 15 Frs !

Il était médecin et fils de banquier, certes, mais cela ne suffit pas toujours !

Portrait de femme, 1674
Nicolas MAES 102 cm x 80.5 cm Toulouse, musée des Augustins

Il a vraisemblablement profité, des dizaines d’années après l’évènement, de la vente des biens nationaux sous la révolution, de 1790 à 1793.

D’innombrables oeuvres ont ainsi été dispersées, certaines perdues, anonymes, car elles n’étaient pas toutes signées, et se sont trouvées mises sur le marché et vendues par des gens qui étaient loin d’être tous des connaisseurs !

La Caze avait un goût très sûr et une culture autodidacte assez vaste, même s’il s’est trompé sur certaines de ses acquisitions (on verra dans cette exposition deux tableaux qu’il a attribués à Thomas Gainsborough alors qu’ils étaient en fait de Jean-François de TROY).

La Caze, collectionneur et spéculateur avisé.

Une originalité rare chez ce collectionneur : il achetait mais il revendait aussi (alors qu’il n’en avait certainement pas besoin), suivant l’évolution dans le prix des œuvres !

D’ailleurs si le style d’un tableau ne lui plaisait pas ou s’il pensait que le peintre concerné allait voir sa cote chuter, il n’achetait pas ou tout au moins en petite quantité.

C’est ainsi qu’alors que Jean-Baptiste PATER (1695-1736) était tout à fait en renom, il se contenta de n’en acheter que fort peu, dont « la baigneuse » ci-dessous :

Le Bain champêtre, dit aussi La Baigneuse
Jean-Baptiste PATER (1695-1736) Huile sur bois Circa 1725-1730

Et il eut du flair car la renommée de ce peintre tomba très vite !

Et quand les Watteau eurent fortement baissés, La Caze acheta le « Gilles » en 1838, alors que sa cote avait fortement baissée, pour la somme de 2500 Frs !

Pierrot dit autrefois Gilles, vers 1717
Jean.-Antoine Watteau (1684-1721) Huile sur toile 1,85 m x 1,50 m. Paris, musée du Louvre, département des Peintures © RMN/J.G. Berizzi

La Caze influença-t-il la peinture de son temps ?

La collection La Caze attira l’attention des frères Goncourt, de Théophile Gautier et des jeunes peintres Degas, Manet, et Fantin Latour, ces derniers venant peindre chez La Caze en s’inspirant de Chardin par exemple pour Manet.

Philippe Burty (1), dit a propos de La Caze : « Il aimait les artistes. Il laissait copier chez lui tout ce qu’on voulait. »

On pense d’ailleurs que, de cette façon, il eut une certaine influence sur la peinture de son temps.

On voit ci-dessous la brioche de Chardin qui a peut-être inspiré Manet pour réaliser la sienne. Voir ci-dessous les deux brioches !

La Brioche dite aussi Un Dessert, 1763
Jean-Baptiste-Siméon Chardin (1699-1799) :
Huile sur toile 0,47 m x 0,56 m Paris, département des Peintures, MI 957 © RMN/ Hervé Lewandowski

La brioche
Edouard Manet, 1870 huile sur toile, 65 x 83cm Metropolitan Museum of Art

Les frères Goncourt ne sont pas très charitables avec La Caze !

Mais les frères Goncourt n’avaient pas vraiment d’admiration pour La Caze…

les frères Goncourt

Il écrivirent à l’occasion de leur rencontre à La Haye, ce très curieux texte difficilement compréhensible : « La Haye, vendredi 13 septembre [1861]. Nous avons accroché ici M. La Caze, un parleur de tableaux, un Diderot manqué, intarissable, furieux d’admiration, ayant des cris, des crises devant toute toile ancienne, devant un Mieris, comme devant un Jordaens. C’est lui qui dit de son Rembrandt, qu’il fait dans la nuit : « Hou ! hou ! » et il grogne comme lion. Des Syndics (de Rembrandt), il s’écrie « c’est plus vivant que la vie ! C’est de la vie comme si on en avait mis dans une bouteille d’eau de Seltz et qu’on la charge, jusqu’à ce qu’elle casse ! » Sans logique, battant toutes les phrases, toutes les idées ; demandant comme première qualité l’idée à la peinture et admirant un Ostade ; niant de la base au sommet toute l’école moderne, et Rousseau devant Ruysdaël, tout simplement parce que les modernes ne sont pas encore des anciens… »

La Caze, conseiller artistique reconnu et écouté !

La Caze ne s’est pas contenté d’être collectionneur averti, il prêtait aussi souvent les oeuvres qu’il possédait pour de grandes expositions.

Bien qu’assez effacé, il prenait part à la vie artistique de son temps, les musées lui demandaient fréquemment conseil et il intervenait dans le choix des oeuvres achetées. (par exemple il conseilla au musée du Louvre d’acheter L’Immaculée Conception de Murillo pour lequel Napoléon lui ouvrit un crédit illimité !).

Un tableau magnifique

Pour finir, voici un splendide Fragonard exposé ici, « L’inspiration », magnifique par le choix des couleurs, le jeu d’ombre et de lumière, et le côté inachevé annonçant l’impressionnisme.

L’Inspiration, vers 1769
Fragonard (1732-1806) Huile sur toile, 0,80 m x 0,64 m., musée du Louvre, département des Peintures © Photo RMN/ Daniel Arnaudet

 

Et enfin, une liste (non exhaustive !) des peintres dans la collection La Caze :

Watteau, Chardin, François Boucher, Philippe de Champaigne, Jacques-Louis David, Jean-Baptiste Deshays, Michel Dorigny, Louis Elle dit Ferdinand le Jeune, Jean-Honoré Fragonard, Théodore Géricault, Nicolas Lancret, Nicolas de Largillierre, François Lemoyne, Les frères Le Nain, Jean-Baptiste Pater, Jean-Baptiste-Marie Pierre, Hyacinthe Rigaud, Hubert Robert, Jean-François de Troy, Carle Vanloo, Antoine Vestier, Gerard Ter Borch, Gerard Dou, Antoon Van Dyck, Jan Fyt, Frans Hals, Jacob Jordaens, Thomas De Keyser, Nicolaes Maes, Isack Van Ostade, Rembrandt Harmensz Van Rijn, Petrus Paulus Rubens, Frans Snyders, Jan Steen, David Teniers le Jeune, Adriaen Van der Werff, Balthasar Denner, Michelangelo Cerquozzi, Luca Forte, Vittore Ghislandi, dit Fra Galgario, Luca Giordano, Francesco Guardi, Giovanni Lanfranco, Giovanni Paolo Pannini, Gianantonio Pellegrini, Jacopo Robusti, dit Tintoretto, Diego Velázquez, José de Ribera, etc !

(1) Philippe Burty (1830-1890) fut l’une des figures de proue de la critique d’art dans la seconde moitié du XIXe siècle. Exécuteur testamentaire de Delacroix, il favorisa l’essor du japonisme ou de l’impressionnisme ; ami des Goncourt, il s’intéressait également à la peinture ancienne qu’il avait contribué à promouvoir par ses chroniques de ventes publiques -note du Louvre-.
le 2 juin 2007
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