Paul Klee à l’Orangerie de Paris

Paul Klee (1879-1940) du 14 avril au 19 juillet 2010 Musée de l’Orangerie – jardin des Tuileries Place de la Concorde 75001 Paris

C’est une toute petite exposition, dans le sens où il n’y a que 26 oeuvres de ce grand peintre qu’était Paul Klee (1879-1940), d’autant plus qu’on lui connaît 1200 oeuvres peintes dans la seule année 1939 (1 an avant sa mort) !

Photographie de Paul Klee dans son atelier

Mais c’est aussi une belle et intéressante exposition, représentative de toute la carrière de Klee et qui vient principalement de la collection du galeriste suisse Ernst Beyeler.

On y voit l’évolution du figuratif (qui n’était d’ailleurs pas vraiment du figuratif ) à l’abstrait (qui n’est pas si abstrait que ça !). On y voit surtout une fusion de ces deux modes d’expression, notamment dans « paysage du passé » (paysage = figuratif, passé = abstrait) en 1918 juste après la guerre à laquelle il a participé (son père était allemand), oeuvre pleine de mélancolie…

Paysage du passé / Landschaft der Vergangenheit,
Paul Klee 1918, 44 Aquarelle et gouache sur papier sur carton, 22,6 x 26,3 cm Collection privée © ADAGP, Paris 2010

Autre oeuvre intéressante « les tiges » qui date de 1938 (Peinture à la colle sur papier sur carton). Quelles tiges ? Mais quelle beauté et quel exploit dans cette toile qui semble pleine de couleurs (il montre en effet un talent extraordinaire pour l’agencement des couleurs) et qui pourtant n’est faite que d’un vert timide et d’un ocre jaune faible, plus le noir, le noir qui dit tout ! Ce noir en effet forme des signes qui ont leur importance, car ce sont essentiellement des symboles dont il développe de sens notamment dans son livre « Théorie de l’art moderne », par exemple la flèche.

Il écrit : « Père de la flèche est la pensée : comment étendre ma portée vers le bas ? Par delà ce fleuve, ce lac, cette montagne ? (…) ni ailé, ni captif, tel est l’homme. »

On n’y voit d’abord effectivement que des tiges, mais en y regardant plus près, c’est le soleil, la lune, le signe du bélier, une pipe, une canne, un point d’exclamation, et les fameuses flèches qui semblent nous inviter à un certain parcours… et bien d’autres symboles.

Tiges / Halme, 1938, 6 (6)
Paul Klee Peinture à la colle sur papier sur carton, 50 x 35 cm Fondation Beyeler, Riehen/Basel © Photo : Peter Schibli, Basel © ADAGP, Paris 2010 06. Paul

On sent la sensibilité du poète et du musicien à travers ses toiles, souvent sur papier ou toiles de jute, ou même papier collé sur toile de jute.

Il faut s’arrêter devant une oeuvre et la contempler longtemps pour essayer d’en deviner le sens, le titre étant important et complémentaire du tableau, il en fait partie et peut aussi fournir une piste.

Mais la clef, c’est Klee lui même qui la possède, sans jeu de mots.

Prenons par exemple « Brûle encore ». Il peut s’agir d’un sentiment fort qu’il a ressenti au moment où il regardait le feu dans la cheminée, le feu qui « brûle encore ». Le simple regard sur la toile lui rappellera ce qu’il éprouvait. Cette toile, peinte l’année précédant sa mort montre que, bien que très malade, il a gardé jusqu’au bout sa force créatrice (voir le logo de l’article).

On le constate également avec « Sans titre [Captif / En deçà – au-delà / Figure] » peinte en 1940. On peut penser que le captif c’est lui, malade et aux portes de la mort, et qu’il s’agit ni plus ni moins que de la vie (En deçà ) et de la mort (l’au_ delà )

Sans titre [Captif / En-deça – au-delà / Figure] / Ohne Titel [Gefangen, Diesseits-Jenseits / Figur]
Paul Klee vers 1940 Huile, dessin en réserve avec peinture à la colle sur jute préparé à la colle sur jute, 55,2 x 50,1 cm Fondation Beyeler, Riehen/Basel © Photo : Peter Schibli, Basel © ADAGP, Paris 2010

C’est donc une exposition à voir absolument (elles sont plutôt rares en France sur ce grand peintre). Vous avez jusqu’au 19 juillet 2010.

 

 

Quelques citations de Paul Klee :

 

« Avec le zèle d’une abeille, je récolte dans la nature les formes et les perspectives. » Paul Klee, Journal

« Autrefois, on représentait les choses qu’on pouvait voir sur terre, qu’on aimait ou aurait aimé voir. Aujourd’hui, la relativité du visible est devenue une évidence, et l’on s’accorde à n’y voir qu’un simple exemple particulier dans la totalité de l’univers qu’habitent d’innombrables vérités latentes. Les choses dévoilent un sens élargi et bien plus complexe qui souvent infirme en apparence l’ancien rationalisme. L’accidentel tend à passer au rang d’essence. » Paul Klee, Confession créatrice, 1920

« Genèse d’un travail. 1) Dessiner rigoureusement d’après nature, éventuellement au moyen d’une longue-vue. 2) Renverser le dessin (n°1), faire ressortir au gré du sentiment les lignes principales. 3) Rétablir la feuille dans la position normale et harmoniser 1= nature, avec 2= tableau. » Paul Klee, Journal, 1908

« La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède, je le sais. Voilà le sens du moment heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre. » Paul Klee, Journal, 1914

« Me voici évacué. Demain soir vraisemblablement je quitterai ces lieux. Viendront ensuite les beaux jours de Noël où les cloches tintent dans chaque tête enfantine. Au cours de ces dernières semaines j’ai vieilli quelque peu. Mais je ne voudrais point céder à la bile, sinon tout au moins à de la bile dosée par l’humour. Cela se trouve aisément chez les hommes. Les femmes, en pareils cas, sont au bord des larmes… » Lettre de Paul Klee à son fils Félix, 1933

« A de lucides moments, il m’arrive d’embrasser d’un coup d’oeil douze ans d’évolution intérieure de mon propre moi. D’abord le moi convulsif, le moi affublé de grandes oeillères, puis la disparition des oeillères et du moi, et puis à présent, peu à peu, un moi sans oeillères. Il était bon de ne pas tout prévoir. » Paul Klee, Journal, 1911

« L’art ne reproduit pas le visible ; il rend visible. Et le domaine graphique, de par sa nature même, pousse à bon droit aisément à l’abstraction. Le merveilleux et le schématisme propres à l’Imaginaire s’y trouvent donnés d’avance et, dans le même temps, s’y expriment avec une grande précision. Plus pur est le travail graphique, c’est à- dire plus d’importance est donnée aux assises formelles d’une représentation graphique, et plus s’amoindrit l’appareil propre à la représentation réaliste des apparences. L’art pur suppose la coïncidence visible de l’esprit du contenu avec l’expression des éléments de forme et celle de l’organisme formel. Et, dans un organisme, l’articulation des parties concourant à l’ensemble repose sur des rapports manifestes, basés sur des nombres simples. » Paul Klee, Confession créatrice, 1920

« Ici-bas je ne suis guère saisissable car j’habite aussi bien chez les morts que chez ceux qui ne sont pas nés encore,un peu plus proche de la création que de coutume, bien loin d’en être jamais assez proche. » Épitaphe de Paul Klee, extraite de son Journal

« J’ai toujours ressenti une attirance particulière pour les productions tardives car elles constituent une sorte de somme de l’oeuvre de toute une vie. Chez les grands artistes, cette phase voit la dissolution de structures antérieures au profit de formes parfois visionnaires, préfigurations de mouvements futurs comme le cubisme dans le cas de Cézanne ou l’abstraction pour Monet. Ces années ont aussi ceci de particulier que les artistes, au terme de leur vie, peuvent conjuguer leur ultime énergie avec une certaine sérénité. N’ayant plus besoin d’apports extérieurs, ils peuvent se contenter de puiser dans leurs propres idées. Ainsi, dans ses dernières années, Monet n’a plus beaucoup porté attention à ce qui se passait autour de lui. Il a poursuivi son travail dans son atelier comme un forcené. » Ernst Beyeler, Entretien avec Philippe Büttner, 2003

« L’homme n’a pas fini. Il faut rester en éveil, être ouvert, être devant la vie comme un enfant qui se lève, un enfant de la création, du créateur ». Paul Klee, Journal

 

 

Biographie de Paul Klee (1879-1940)

1879

Naissance le 18 décembre à Münchenbuchsee, près de Berne Solide formation musicale auprès de ses parents

1898-1901

Formation artistique en dessin et peinture à Munich De 1897 à 1918, rédaction de son Journal

1901

Voyage de huit mois en Italie à l’école des maîtres

1906

Mariage avec la pianiste munichoise Lily Stumpf Installation à Munich où naîtra leur fils Félix

1910

Première exposition personnelle au Kunstmuseum de Berne

1912

Expose avec le Blaue Reiter (Cavalier bleu) à Munich Voyage à Paris et rencontre de Robert Delaunay

1914

Voyage à Tunis et Kairouan : « La couleur me possède […]. Je suis peintre » Paul Klee, Journal

De 1920 à 1931

Enseignement et recherches au Bauhaus, à Weimar puis à Dessau

1925

Publication des Pädagogisches Skizzenbuch (Esquisses Pédagogiques) Expositions à Paris, personnelle et avec les surréalistes

1930

Expositions rétrospectives à Berlin, galerie Fleichtheim, et New York, Museum of Modern Art

1931-1933

Professeur de technique picturale à l’Académie de Düsseldorf

1933

Persécution par les nazis et émigration définitive à Berne

1939

Intense production transcendant les attaques de la maladie

1940

Mort le 29 juin à Locarno-Muralto en Suisse

le 24 juin 2010

Pour marque-pages : Permaliens.

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