Modigliani, Soutine et l’Aventure de Montparnasse

La collection Jonas Netter

Vous voulez voir un trésor ? Alors allez à la Pinacothèque de Paris où se tient, du 4 avril 2012 au 9 septembre 2012, cette formidable exposition !

Marc Restellini nous informe que les toiles de Modigliani de la collection exposées aujourd’hui ne l’ont pas été depuis plus de 70 ans et les descendants de Netter prêtent ces toiles dans le but d’aider, par le biais d’une fonds de dotation, l’enfance défavorisée. La Pinacothèque participe donc, avec cette exposition, à un grand projet humanitaire.

Marc Restellini aime les collectionneurs (récemment il nous a présenté la collection Kremer – L’âge d’or hollandais-, les Kremer étant des collectionneurs contemporains).    Il est vrai que ce sont eux, les collectionneurs, qui découvrent et encouragent les grands artistes qui, sans eux, resteraient dans l’ombre.

Jonas Netter

Jonas Netter (1870-1946) était un « Agent de marques pour l’exportation », très honnête et très droit.

Il aimait l’art de la peinture et on pourra voir qu’il avait un goût très sûr.

Ses préférences allaient vers les impressionnistes, mais il ne pouvait s’offrir leurs œuvres, trop chères pour lui. C’était aussi un bon pianiste et un mélomane averti.

Naissance de Montparnasse

Mais le destin viendra à son secours avec la naissance d’un nouveau « quartier d’artistes » qui remplacera Montmartre, à savoir Montparnasse. On fait la fête, et les peintres pauvres se mélangent avec les riches collectionneurs.

Le hasard et le bruit ou comment un voisin irascible est à l’origine d’une belle collection

Pour une querelle de voisinage, Jonas Netter, harcelé par un voisin, décide de demander conseil à la police pour savoir que faire.    Il se rend donc à la préfecture où il est introduit chez le commissaire de police Léon Zamaron et voit dans le bureau de ce dernier, accroché au mur, un tableau d’Utrillo, alors inconnu, et le félicite d’avoir une si belle œuvre. Il lui demande comment rencontrer ce peintre. Zamaron lui suggère de contacter un « marchand en chambre » (qui finira par exploiter une vraie galerie, avec pignon sur rue) comme on disait alors, un poète polonais du nom de Léopold Zborowski (1889-1932) qui arrondi ses fins de mois en vendant les tableaux des autres…

C’est ainsi que naîtra, en 1910, une collaboration entre Netter et Zborowski.

Ce dernier est un personnage assez fantasque, et à moitié honnête, l’inverse de Netter, dont il a d’ailleurs profité largement.    Il est présenté ici un peu comme un exploiteur de peintres et de collectionneurs (ce qui est sans doute en partie vrai). En réalité, il s’occupe de « trouver » des peintres de talent pour les collectionneurs.

Quoiqu’il en soit, il est autant extraverti que Netter est introverti.

A ce sujet, l’exposition nous montre un extrait du « contrat » liant Netter, Zborowski et Modigliani et par lequel Netter s’engage à entretenir Modigliani par moitié (l’autre moitié étant dévolue à Zborowski) en échange de quoi Modigliani remettrait à Netter entre 12 et 14 toiles par mois…Même si Modigliani peignait vite, ça fait quand même beaucoup !

Ce qui est certain, c’est que les peintres s’entendaient assez mal avec Zborowski, alors que Netter, plus humain, n’hésitait pas à leur venir en aide.

On montre, à ce sujet, le texte d’une lettre assez désespérée qu’Utrillo adresse à Netter, disant qu’il est malade et a besoin d’être hospitalisé. Et Netter l’a aidé, ce que n’aurait jamais fait Zborowski, considérant les peintres plus comme du gibier à exploiter que comme des êtres humains…

Netter met fin à sa collaboration avec Zborowski en 1929 et ce dernier meurt dans la misère en 1932.

L’exposition

124 œuvres sont exposées ici dont, parmi les plus célèbres, 15 Modigliani (dont 4 dessins splendides), 14 Utrillo, 19 Soutine, 3 Vlaminck, et 3 Derain.

Utrillo et Valadon

On est accueilli par un Utrillo magnifique, le fameux « Porte Saint Martin » (à remarquer que Marc Restellini fait souvent débuter ses expositions par un chef-d’œuvre !).

Une « place de l’église à Montmagny », avec son ciel gris plombé faisant ressortir particulièrement les couleurs des magasins différentes couleurs alentour :

Place de l’église à Montmagny c. 1907
Maurice Utrillo Huile sur toile, 54 x 81 cm. Collection privée © Adagp, Paris 2012 © Jean Fabris, 2012 © Photo : Pinacothèque de Paris / Fabrice Gousset

Une autre toile, un paysage à Montmagny, nous montre la pleine campagne dans un style très impressionniste. Il est dommage qu’Utrillo n’ait pas continué dans cette voie, sans doute parce qu’il n’aimait pas la campagne…

Plus loin, on verra un extraordinaire paysage de Suzanne Valadon (la mère d’Utrillo, une grande artiste aussi, mais pas assez reconnue) intitulé « Paysage à Vieux-Moulin ». Il y a dans cette toile de la naïveté, mais aussi de la force, une volonté de briser les lignes et la perspective, de l’indépendance et en même temps un choix de couleurs d’une très grande harmonie.

Modigliani

 

Le chef d’œuvre de Modigliani « La Fillette en bleu » avec les yeux du même bleu que la robe et le mur du fond est présenté ici :

Fillette en bleu 1918
Amedeo Modigliani Huile sur toile, 116 x 73 cm. Collection privée © Photo : Pinacothèque de Paris

Ce qui est curieux avec Modigliani, c’est que tous ses portraits se ressemblent (forme de la tête et des yeux), mais comme il saisit l’essentiel, ils ressemblent en fait parfaitement aux modèles !

Un émouvant portrait de Jeanne Hébuterne, sa compagne, également peintre (nous verrons ici « Adam et Eve » et « Intérieur au piano »), au triste destin, et qui se suicida à l’âge de 22 ans, enceinte de 9 mois, deux jours après le décès de Modigliani…

 

Portrait de la jeune fille rousse (Jeanne Hébuterne)
Amedeo Modigliani 1918 Huile sur toile, 46 x 29 cm. Collection privée © Photo : Pinacothèque de Paris

Soutine

Soutine vu par Modigliani est relativement « calme » et anodin, sauf par la position de la main droite qui le classerait, selon Marc Restellini parmi les « Cohen » et en fait donc un « initié » juif (voir Wikipédia)

 

Portrait de Soutine 1916
Amedeo Modigliani Huile sur toile, 100 x 65 cm. Collection privée © Photo : Pinacothèque de Paris / Fabrice Gousset

alors que Soutine se voit lui même comme ça :

Autoportrait au rideau c. 1917
Chaïm Soutine Huile sur toile, 72,5 x 53,5 cm. Collection privée © Adagp, Paris 2012 © Photo : Pinacothèque de Paris / Fabrice Gousset

On sait assez peu de choses sur Soutine, assez introverti, vivant à part, dans son monde, refusant d’aller aux vernissages de ses propres expositions, etc.

Ses portrait sont terribles, tel celui de « L’Homme au chapeau » qui ne devait pas être particulièrement flatté du résultat (voir ci-dessous) !

L’Homme au chapeau c. 1919/1920
Huile sur toile 130 x 65,1 cm Collection privée © Adagp, Paris 2012 © Photo : Pinacothèque de Paris / Fabrice Gousset

André Derain

Magnifiques toiles de Derain, qui semble « voir » au-delà des choses. Pas de toiles « fauves », mais des œuvres moins connues et plus classiques dont un remarquable « Nu debout » de 1910.

Moïse Kisling     Nous lui devons un « Portrait d’homme » qui serait celui de Jonas Netter, ce qui est un exploit compte tenu de la discrétion du collectionneur (il n’existe que peu de photos de lui et ce tableau doit être le seul !) et le remarquable « Femme au pull-over rouge ».

Isaac Antcher

Ce peintre, qui se trouve être le grand-père de Marc Restellini, réalise d’étranges tableaux. Il voit la campagne d’une manière très particulière ! C’est beau et c’est triste, très triste…

Les autres peintres

Bien d’autres grands peintres sont présents à cette exposition, parmi lesquels Feder, avec un émouvant « Femme aux vases de fleurs », Kikoïne avec un merveilleux « Tulipes » et chez lequel on retrouve des accents cézanniens dans un « Paysage » de 1930.

Plus loin un « Bord de rivière » de Vlaminck absolument merveilleux !

Une très belle exposition qui s’est terminée le 9 septembre 2012.

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