Van Gogh et Hiroshige à la Pinacothèque

Les deux expositions

La pinacothèque de Paris nous présente une belle exposition : Van Gogh, rêves de Japon (8, rue Vignon), accompagnée d’une autre : Hiroshige, l’art du voyage (28, place de la Madeleine).

Elles sont liées toutes les deux et chaque tableau de Van Gogh est accompagné d’une grande notice sur Hiroshige. Ne vous étonnez pas si les estampes ne sont pas dans les mêmes lieux, il ne pouvait bien entendu pas être question de mettre les 200 oeuvres du maître japonais en regard de la trentaine d’oeuvres de Van Gogh !

Exposition Van Gogh, rêve de Japon

C’est la première exposition à Paris depuis longtemps,  consacrée exclusivement à Van Gogh.   Autant le dire tout de suite, elle est magnifique.

Le titre, « Van Gogh, rêve de Japon » s’explique par le fait que n’étant jamais allé au Japon, il ne pouvait que le rêver, et le midi de la France lui offrait un Japon plus abordable. Il pensait d’ailleurs que le midi ressemblait beaucoup au Japon.

L’admiration de Van Gogh pour les artistes japonais est bien connue et il s’en est lui même inspiré dans plusieurs cas. Mais c’est plus, à mon avis, une inspiration de fond que de forme, même si on voit souvent des rapprochement possibles, notamment dans la structure de certains tableaux.

Il possédait d’ailleurs avec son frère Théo, une importante collection d’estampes japonaises (le terme japonais pour désigner l’estampe est : « ukiyo-e »  signifiant «  image du monde flottant »; c’est beau, plein de poésie et bien propre à lui plaire).

Comme le dit Marc Restellini dans sa présentation, citant une lettre à Théo : « on aime la peinture Japonaise, on en a subi l’influence – tous les impressionnistes ont ça en commun – ». Et le « japonisme » a été à la mode en France dès 1872.

Il écrit aussi toujours dans ses « lettres à son frère Théo » :

– Voyons, cela n’est-ce pas presque une vraie religion ce que nous enseignent ces japonais si simples et qui vivent dans la nature comme si eux-mêmes étaient des fleurs ?

–  Le japonais dessine vite, très vite, comme un éclair, c’est que ses nerfs sont plus fins, son sentiment plus simple

On voit d’ailleurs dans cette dernière phrase un peu de la technique de Van Gogh pour qui il était important « d’aller vite ».

On le lui reprochait d’ailleurs souvent et il écrivait à son frère  « Lorsqu’on dira que cela est trop vite fait, tu pourras y répondre qu’eux, ils ont trop vite vu ». Il y a plusieurs phrases dans les « Lettres à Théo » qui montrent chez lui ce désir d’aller vite, « comme les japonais ».

 

L’aquarelle du Pont basculant, ci-dessous est un bon exemple du style japonisant de Van-Gogh dès 1883  :

 

 

Pont basculant à Nieuw-Amsterdam Vincent van Gogh
Automne 1883,aquarelle sur papier,40,3 x 82,2 cm.
© Collection Groninger Museum, Groningen/photograph John Stoel

 

 

En plus de l’influence purement psychologique de l’art japonais, Van Gogh a fait des copies de certaines estampes comme Le Pont Ōhashi et Atake sous une averse  (cliquer sur le logo en haut de l’article).

Le  Kröller-Muller Museum d’Otterlo a prêté à la Pinacothèque une trentaine de toiles et dessins de Van Gogh.

 

Hiroshige, l’art du voyage

Et d’autre part, nous avons une belle exposition d’un grand maître japonais, Hiroshige, avec environ 200 estampes et objets intéressants.

Pourquoi « l’art du voyage » ?

Parce que Hiroshige partait sur les routes, faisant de grands et longs voyages à pied, parcourant le Japon dans tous les sens, et s’arrêtant longuement, en divers étapes, au cours desquelles il dessinait les scènes qu’il voyait, à une époque de grands changements, où le Japon ancestral, fermé depuis longtemps, s’ouvrait de nouveau à l’extérieur, il était témoin d’un monde qui allait changer, avec notamment l’arrivée de la photographie, des réverbères au gaz dans les rues, etc.

A propos du rapprochement entre artistes, dont il est fortement question ici, on peut aussi signaler un rapprochement possible entre Hergé et Hiroshige. Certains albums de Tintin sont étonnamment semblables aux  estampes d’Hiroshige ! Voir ci-dessous :

 

Utagawa Hiroshige – Un prêtre demandant son chemin à des autochtones – Détail
Série des Soixante-neuf étapes du Kisokaid#, 1838-1842,
© Museum Volkenkunde, Leiden /Musée national d’Ethnologie,Leyde, inv. RMV 2751-56

 

 

Le Midi-Japon

On revient à Van Gogh qui a fait du Midi de la France « son » Japon.

Certaines œuvres exposées ici sont des chefs d’œuvres qui laissent pantois…  Parmi celles ci, nous sommes accueillis dès l’entrée de l’exposition par un petit tableau (30,8 x 39,7 cm) intitulé « Carré d’herbe ». C’est uniquement de l’herbe, et ce fait est important, mais les verts y côtoient les bleus, les jaunes et même le rouge et l’orangé ! Van Gogh a toujours été fasciné par la nature, la campagne et il en peint là un élément constituant dont il montre la complexité.

L’herbe c’est vert, mais il nous montre ici que c’est beaucoup plus compliqué et beaucoup plus beau aussi, et à l’instar d’un compositeur, il joue avec les couleurs comme le musicien avec les notes.

J’ai été particulièrement impressionné par d’autres tableaux, tels « Troncs d’arbre dans l’herbe »,   l’horizon étant très haut, en dehors même du tableau, avec ses formidables couleurs :

 

Troncs d’arbre dans l’herbe – Vincent van Gogh
Fin avril 1890, huile sur toile, 72,5 x 91,5 cm.
© Collection Kröller-Mu!ller – Museum, Otterlo,Netherlands

 

Toujours dans le même style génial « Vignoble vert », stupéfiant de beauté, « Allée dans un parc » , « Cyprès avec deux silhouettes », « Verger entouré de cyprès », « Botte de paille sous un ciel nuageux », l’étonnant « Paysage aux gerbes de blé sous la lune » ou cette « lune » ressemble à s’y méprendre au soleil, si ça n’était les reflets argentés sur le sol, comme ça arrive au lever de pleine lune !

Plus loin « Jardin de l’asile de Saint-Rémy », magnifique. Mais ce dont on ne peut se rendre compte sur la photo, c’est à la fois de l’épaisseur et de la variété des couleurs dans les arbres. Picasso disait : On travaille avec peu de couleurs, ce qui donne l’illusion de leur nombre, c’est qu’elles ont été mises à leur juste place.

Effectivement, pour réaliser ce tableau, et tous les autres, un bleu de prusse (que van Gogh aimait beaucoup), un jaune japonais clair, un ocre rouge, un ocre jaune et bien sûr du blanc, ont probablement été suffisants. Même pas de vert (on obtient une infinité quantité de verts en mélangeant le bleu de prusse, le jaune, avec ou sans blanc) !

Vincent Van Gogh – Le Jardin de l’asile de Saint-Rémy
Mai 1889, huile sur toile, 91,5 x 72 cm.
© Collection Kröller-Mu!ller Museum, Otterlo, theNetherlands

et le très stylisé (et très en avance sur son temps) « Marronnier en fleurs » :

 

Vincent van Gogh – Marronniers en fleur
22-23 mai 1890, huile sur toile, 63,3 x 49,8 cm.
© Collection Kröller-Mu!ller Museum, Otterlo, the Netherlands

 

Il faut signaler qu’aucune photo ne peut rendre à l’heure actuelle la beauté d’un Van-Gogh qui est en fait en trois dimensions. Il y a en effet des épaisseurs de la peinture, qu’on appelle « empâtements » qui sont le plus souvent vernis et ressemblent à des pierres précieuses de toutes les couleurs qui se marient magiquement toutes parfaitement ensemble… Van-Gogh va au-delà de la nature, il la rend presque plus belle par sa technique et sa sensibilité.

On voit dans la toile ci-dessous un évident « style japonais »  :

 

Pins au coucher du soleil

Vincent van Gogh – Pins au coucher du soleil
Décembre 1889, huile sur toile, 91,5 x 72 cm. Signée en bas à gauche : Vincent
© Collection Kröller-Mu!ller – Museum, Otterlo, the Netherlands

 

Van Gogh un fou génial ?

A propos de sensibilité, peut-on dire que Van-Gogh était atteint de  « troubles bipolaires »,  parler de  schizophrénie et de ses « crises de délire accompagnées d’hallucinations » ?

L’absinthe y était sans doute pour quelque chose. Mais ça n’était certainement pas des moments de grande création. On peut lire un article intéressant à ce sujet sur le site Psythère, intitulé Van Gogh était-il un bipolaire ? Mais le problème n’est pas vraiment là. L’histoire rebattue du « fou génial » ne tient pas vraiment la route.

Car aurait-il pu dans ces conditions écrire les « lettres à Théo » qui sont loin d’être délirantes ? Mener sa technique au génie (pas au délire) et avoir une oeuvre aussi importante (c’était un travailleur acharné) de près de 2000 dessins et tableaux ?

On dit partout que Van Gogh souffrait de maladies nerveuses et variées mais, sauf la syphilis, toutes les autres ne semblent être que la conséquence d’une seule : l’alcoolisme.

 

Critique des critiques

Plusieurs médias critiquent l’exposition en  disant notamment qu’un arbre égal un arbre, un cheval un cheval. C’est vrai, mais au delà, il y a le style « l’âme du tableau ». Par exemple, si je parle plus haut d’un « style japonais », c’est quelque chose qu’on ressent sans en analyser obligatoirement les tenants et les aboutissants et ce serait d’ailleurs dommage. Il faut un thème à une exposition, et je suppose qu’il faut bien des réflexions pour en trouver un. Sinon, on aurait pu appeler ces expos : Van Gogh, tableaux et dessins et deuxièmement « Hiroshige, estampes japonaises » !

D’ailleurs Van Gogh dit lui-même :   » Tout mon travail est un peu basé sur la japonaiserie (…) »  (15 juillet 1888 – lettre à Théo n° 640)

Quoi qu’il en soit, ce thème est pertinent. Certes un arbre égal un arbre, mais pour Van Gogh, la nature bouge, danse, est en mouvement perpétuel et il ne représentait jamais un paysage statique. C’est évident dans des tableaux comme « Oliveraie ». Or Hiroshige, lui aussi, faisait « danser les arbres » :

 

Utagawa Hiroshige – Plage des maiko dans la province de Harima
Série des Vues des sites célèbres des soixante et quelques provinces du Japon -1853Museum Volkenkunde, Leiden/Musée national d’Ethnologie, Leyde, inv. 2494-46 © Museum Volkenkunde, Leiden/Musée national d’Ethnologie, Leyde

 

Et bien sûr Van Gogh faisait aussi danser les oliviers !

Vincent Van Gogh -Oliveraie
Juin 1889, huile sur toile, 72,4 x 91,9 cm.
© Collection Kröller-Mu!ller Museum, Otterlo

 

 

Certes les thèmes de Restellini sont souvent audacieux, mais il nous fait toujours rêver, nous proposant souvent des voyages formidables à travers le monde de l’art et rien que pour ça, on peut le remercier.

A signaler aussi le livre magnifique de l’exposition avec de très belles reproductions, ce qui est plutôt rare. Et donc, allez y en confiance, vous ne le regretterez pas.

 

Voir l’interview de Marc Restellini ci-dessous :

Visite virtuelle : Van Gogh et Hiroshige à la… par FranceInfo

Expositions du 3 octobre 2012 au 17 mars 2013

 

 

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