« Vie et destin » de Vassili Grossman

1173 pages en version poche !

J’ai essayé de le lire en 2004, puis en 2005 et à chaque fois je me suis arrêté pour la simple raison qu’il y avait trop de personnages et que je ne pouvais les mémoriser tous, la langue russe ne facilitant pas les choses, avec les prénoms multiples, les noms propres masculins et féminins, les diminutifs, etc.

Mais cet été, prenant mon courage à deux mains, je me suis dit que tant pis si j’oubliais des choses et si je ne retenais pas tout, j’irai jusqu’au bout !

Et je n’ai pas été déçu. « Vie et destin » est un grand livre, terminé en 1962. Il parle de l’époque de la bataille de Stalingrad en 1942-1943, et se passe d’ailleurs principalement dans ce lieu.

Vassili Grossman, (12 décembre 1905 -15 septembre 1964), est un grand écrivain russe, ingénieur chimiste de formation et qui deviendra journaliste, correspondant de guerre, à l’occasion de la bataille de Stalingrad,, dans laquelle il fait montre de beaucoup de courage. Il recevra même, à cette occasion, une décoration de l’État soviétique.

Il suit ensuite l’Armée rouge jusqu’à Berlin.

Vassili Grossman en Allemagne pendant la guerre

Il est profondément marqué par la découverte des camps de concentration nazis et par le parallélisme entre communisme et nazisme, notamment par l’antisémitisme des deux régimes, ce qu’il développe d’ailleurs dans « Vie et destin ».

A la lumière de tout ce qu’il a vu, il prend ses distances avec Staline et écrit donc ce livre.

Lorsqu’il envoya le manuscrit à son éditeur, celui-ci, terrorisé, le dénonça au KGB qui, après une fouille en règle, s’empara des doubles, des carbones et des rubans de sa machine à écrire !

Ce livre décrit admirablement l’ambiance de délation, de méfiance qui existaient alors en URSS, chacun, même un ami, pouvant devenir un ennemi en vous dénonçant et vous envoyant au goulag. La machine étatique à broyer les individus étant parfaitement rodée.

Chaque général, pendant la guerre, était affublé d’un commissaire politique qui vérifiait si ledit général suivait bien en toute chose, la ligne du parti !

Grossman développe l’idée que « le bien » n’existe pas et que seules la bonté, la bienveillance envers les gens qui vous entourent, peuvent et doivent exister.

Il y évoque aussi souvent la liberté, fondamentale pour lui :

« L’aspiration de la nature humaine vers la liberté est invincible, elle peut être écrasée mais elle ne peut pas être anéantie. Le totalitarisme ne peut pas renoncer à la violence. S’il y renonce, il périt. La contrainte et la violence continuelles, directes ou masquées, sont le fondement du totalitarisme. L’homme ne renonce pas de son plein gré à la liberté. Cette conclusion est la lumière de notre temps, la lumière de l’avenir. » (page 283 du livre de poche).

Il analyse aussi les sentiments profonds, communs à tous les hommes, comme par exemple dans ce passage, page 301 :

« Il ressentait de façon exacerbée la couleur du ciel et les nuages de Stalingrad. Il retrouvait son enfance quand la première neige, une averse d’été, un arc-en-ciel l’emplissaient de bonheur. Ce sentiment merveilleux s’émousse, avec les ans, et disparaît chez presque tous les êtres vivants qui s’habituent au miracle de leur vie sur terre. »

Il décrit des scènes de torture abominables, entrecoupées d’interrogatoires diaboliques, il décrit la complexité de l’homme, sa face sombre qui côtoie sa face lumineuse, il montre comment chaque famille est touchée par ces régimes sordides, comment à Stalingrad, la guerre était mêlée à la vie civile, le tout dans une langue magnifique, poétique et belle.

Ce livre est plus qu’une page d’histoire racontée brillamment, plus qu’une réflexion philosophique sur l’homme et les systèmes politiques pervertis, mais il est aussi à la fois tout ça et j’en conseille donc la lecture, vous ne le regretterez pas !

Jean-Pierre Duvaleix, peintre (voir le site)

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